Essaouira 40 kilomètres. A côté de la borne, nul olivier centenaire. Zouitina, c’était pourtant les deux, en sus d’une maison de blanc chaulée, flanquée de deux boutiques en forme de paravent.
«Dar Miloud Khoroto» ne date que des années 50. Pourtant, elle est devenue un monument incontournable de cette vallée aride lovée dans Jbel Hdid, en face de Sidi Ouasmine; saint homme auquel les Regraga rendent visite une fois l’an à l’occasion de leur moussem annuel.
En face, sur l’autre bord de la RP1, une demeure plus ocre que blanche. Son propriétaire, tailleur de son état, fait, lui aussi, du commerce. Mais il est moins réputé que Khoroto. Les conducteurs de cars de seconde catégorie qui assuraient la liaison entre Casablanca et Essaouira font souvent mine de ne pas le connaître. Ni de savoir que Zouitina et ses alentours portent désormais le nom de Douar Dhahna. Lequel comprend également Dmanate et Khli Jaouche.
Entre un caïdat qui a pignon sur rue à Had Dra et une commune dont le siège se trouve à Khmiss Takate, 588 personnes vivent.
Comme leurs parents et leurs grands- parents, ils s’escriment à emblaver leurs petites parcelles de terre d’orge et de maïs, de cueillir les fruits de leurs vieux oliviers, figuiers et caroubiers et d’élever leurs maigres troupeaux de moutons et de chèvres.
En saison, ils s’en vont en montagne à la recherche de fruits d’arganiers dont ils tireront de l’huile.
Hnia Bent Bihi ne le fait plus. Elle ne le peut plus. La femme de Miloud Khoroto est sans âge, elle a le vitiligo et une mémoire d’éléphant. Son histoire s’inscrit dans celle de cette fraction des Aït Afouloussen installée parmi les Regraga depuis l’aube des temps et croise celles de plusieurs guerres. Miloud a, en effet, fait partie du 5e Régiment des tirailleurs marocains qui s’est illustré sur les fronts européens et du 4e RTM qui a fait de même au Vietnam. Il lui a tellement parlé de ces batailles qu’elle s’en souvient avec précision. Les lieux, les faits et les hommes, continuent à peupler sa mémoire et la photo de son défunt mari en noir et blanc et en uniforme de sergent à trôner dans son salon.
Hnia se rappelle également la petite valise en carton renforcé de couleur rouge que ce dernier avait à la main lors de sa démobilisation. Elle contenait suffisamment d’argent pour leur permettre d’édifier leur maison près de cette Zouitina (petit olivier) centenaire sur la route reliant Sebt Talmest à Essaouira. Située entre les vestiges de «Khli Jaouch», première usine du Maroc à avoir traité le doum (crin végétal) et le souk de Had Dra, cette maison a marqué la mémoire de tous les natifs de la région, y compris ceux qui ont choisi de tenter la fortune sous d’autres cieux. Notamment feu Bachir Bradley, un membre de sa famille transporteur de son état et dont le garage, vide depuis des lustres, est situé Route de Médiouna à Casablanca.
Autant Bradley fut riche, autant la famille de Miloud est pauvre. Relativement du moins, parce qu’alentour, tout le monde a le même niveau de vie. Médiocre, mais visiblement en cours d’amélioration après les années de vaches maigres qui ont suivi la fermeture de l’usine de doum de Khli Jaouch à la fin des années soixante.
Des lustres durant, cette manufacture a symbolisé le progrès, l’emploi rémunéré et une présence coloniale à visage humain. Pour les mitoyens, les «Carrara» étaient des gens de bien. Leur chef de file a bâti l’usine, deux maisons à toits en tuiles et une école qui servait également d’infirmerie et de bureau de poste.
Sa vie durant, sa femme y a officié comme institutrice, infirmière et téléphoniste. C’est le seul endroit de la région où il y avait de l’électricité et de l’eau courante. Les malades pouvaient s’y faire soigner, les enfants apprendre les rudiments de la lecture et de l’écriture et les gens y téléphoner pour presque rien.
Depuis la fermeture de la fabrique, dame électricité a quitté ces contrées où les contreforts de l’Atlas s’échinent pour se mettre au diapason des premières avancées d’un désert où le Chergui donne un avant-goût des géhennes aoûtiennes.
Il faudra plus de trente ans pour que la lumière se fît de nouveau grâce non plus aux immenses générateurs Diesel de «Khli Jaouch», mais aux cellules photovoltaïques qui ont mis l’énergie solaire à la portée de toutes les bourses.
Pour ce qui est de l’eau potable, c’est toujours le même problème. Très peu de puits ont été creusés depuis l’année 1928, date de réalisation du premier d’entre eux, «Bir Touil». «Bir Rouayda » qui lui est postérieur est à sec. Depuis longtemps. Depuis toujours, nous dira-t-on. Il en existe certes deux autres, le premier à Douar Diba et le second à Khmis Takate, mais ils sont loin. Trop loin pour que les habitants de Zouitina ou de Khli Jaouch puissent s’y approvisionner.
De plus trois des sept associations locales de la région veillent sur leur exploitation. Avec une fermeté qui frise l’exclusion. A quelques kilomètres d’Essaouira, les ressources hydriques font défaut. Aussi les habitants se rabattent-ils sur l’eau de pluie qu’ils recueillent dans de traditionnels réservoirs creusés à même le sol et appelés «Natfia».
Selon un maître d’école, «la rareté des ressources hydriques dans les régions sud a fait que le génie de mobilisation de l’eau s’ y est développé de manière spectaculaire. Les milliers de «natfia» ne sont que des exemples parmi plusieurs types de réalisations destinées au captage et au stockage de l’eau». Est-ce que l’eau ainsi recueillie est de mauvaise qualité ? «Non, dira-t-il, puisque tout comme l’eau de pluie qui s’infiltre dans le sol, qui séjourne des décennies dans les nappes phréatiques et qui donne une eau potable d’excellente qualité, les propriétés de l’eau de pluie stockée, certes moins longtemps, dans les «natfias» sont bonnes. L’eau ainsi stockée est exempte de calcaire. Ce qui est un avantage certain». Le procédé a, néanmoins, un inconvénient.
«Même en cas de fortes précipitations, l’eau emmagasinée ne peut suffire à désaltérer les humains et à abreuver leurs bêtes», conclura-t-il. Particulièrement durant l’été.
«Smaïme sont difficiles. Quand il ne pleut pas assez, les «natfias» s’assèchent vite et quand il pleut, il faut qu’elles soient en bon état pour emmagasiner l’eau». Hnia en a presque les larmes aux yeux. Pour se donner de la contenance, elle nous parle de ses filles qui vivent en ville et «qui vivent bien parce qu’il leur suffit d’ouvrir le kak (robinet) pour que l’eau s’écoule». Puis elle lève les yeux vers le ciel pour louer Dieu. Cette année, les pluies étaient au rendez-vous. Abondantes et bien réparties dans le temps.
«Mes deux natfias sont pleines et je n’aurais pas de problèmes d’eau puisque je n’élève ni chèvres, ni moutons, ni quoi que ce soit d’autre».
Son bonheur tient finalement à si peu de choses.
Repères
De l’huile d’argan à celle de Harouana |