Culture

Riefenstahi, le pire et le meilleur

Le destin de Leni Riefenstahl gît dans une image. Une vieille photo, en noir et blanc, qui a jauni, mais qui sonne comme la vérité d’un destin. Celui d’une immense cinéaste au service de la propagande nazie.
La photo en question montre Leni Riefenstahl en compagnie d’Adolf Hitler. Le visage de l’intéressée a changé depuis, la qualité des photos s’est nettement améliorée, mais aujourd’hui encore, on ne peut prononcer son nom sans évoquer les deux films majeurs qu’elle a réalisés pour glorifier l’idéologie du troisième Reich. Le premier film, « Le triomphe de la volonté », a pour objet le rassemblement du parti nazi en 1934 à Nuremberg. Plus que toute oeuvre, ce film a contribué au mythe de Hitler. Il établit aussi un nouveau style du documentaire politique. La cinéaste a multiplié les prises de vue des serments solennels. Elle a placé plusieurs caméras pour avoir de nombreux angles. Ce qui a dynamisé des plans statiques. Mais la technique la plus révolutionnaire exploitée dans ce film est assurément celle des gros-plans. Jamais auparavant tant de gros plans n’ont été faits d’un seul homme. Les spectateurs en salle peuvent ainsi observer de très près le Führer.
Les expressions de son visage sont rendues. La détermination qui s’y voit entraîne l’adhésion de ceux qui le regardent. C’est la fin assignée à ce film de propagande. D’ailleurs, le culte de la personne du Führer doit beaucoup à ce film. Le deuxième film que Leni Riefenstahl a réalisé sous le troisième Reich est intitulé « Les Dieux du stade ». Ce film magnifie les Jeux Olympiques de Berlin en 1936. D’immenses moyens ont été mis à la disposition de la cinéaste pour sa réalisation : 35 opérateurs, des caméras automatiques qui suivent les athlètes, des avions survolant les stades… Le résultat est une hymne grandiose au travail, à la jeunesse, à l’effort. À l’ouverture des Jeux, l’arrivée émouvante dans l’obscurité absolue, du porteur de la torche olympique, le Japonais Nurmi, coureur de fond, dont le point lumineux allait grandissant au fur et à mesure que la clameur de la foule qui l’accueillait augmentait. « Les Dieux du Stade » est considéré, aujourd’hui, comme l’un des plus grands films du XXe siècle, l’un des plus innovateurs aussi. Personne ne peut dénier en le regardant que Leni Riefenstahl est une cinéaste exceptionnelle. Le hic, c’est que son génie est au service d’une entreprise de destruction, d’une idéologie basée sur la supériorité d’une seule race et l’exclusion, l’appel à la mort des Juifs, des Tziganes, des homosexuels… Consciemment ou non, l’intéressée a servi les desseins de Hitler. D’où l’émotion trouble que ses deux films communiquent au spectateur d’aujourd’hui. Sur le plan esthétique, ils aspirent admiration, mais compte tenu de l’idéologie qu’ils exaltent, et du poids de l’Histoire, il est naïf et irresponsable de se pâmer devant leur révolution formelle en faisant fi de l’idéologie qu’ils ont servie. Ils ne peuvent être considérés indépendamment des fondements du nazisme. C’est ce qui explique en grande partie la mise en quarantaine de la cinéaste après la défaite de l’Allemagne et l’image dont elle n’arrive pas à se défaire. Certains lui pardonnent pourtant son attachement à Hitler en rappelant le contexte de l’époque et les sympathies des intellectuels et des artistes allemands avec le régime. Ils étayent leur propos par le fait que Leni Riefenstahl n’a jamais adhéré au nazisme. Elle ne possédait pas en effet la carte du parti. Mais d’autres oeuvrent pour culpabiliser toute personne qui trouve des qualités esthétiques aux films de la cinéaste. Ils vont même jusqu’à dire que si ces deux oeuvres n’ont pas été enterrées, si elles demeurent assez vigoureuses aujourd’hui, c’est parce que l’idéologie nazie conserve bien des séductions aux yeux de beaucoup…
Lors de la présentation de sa biographie, il y a deux ans à Francfort, Leni Riefenstahl a dit regretter avoir croisé le chemin de Hitler. Elle a ajouté : « J’ai 98 ans et je n’ai jamais entendu parler que des quelques mois pendant lesquels j’ai travaillé pour lui ». Il est vrai que l’on rappelle rarement les autres travaux de l’artiste. On oublie qu’elle a photographié des non-Aryens. Elle a séjourné des mois entiers au Soudan, en Nubie, au Kenya pour fixer des Noirs dans leur superbe nudité. Elle a notamment réalisé plusieurs photographies des tribus masaïs. L’intéressée a ainsi quasiment pris le chemin inverse des deux films qui ont fait d’elle l’artiste préféré de Hitler. Alors qu’elle a idéalisé la beauté classique suivant les cannons de l’idéal nazi, en glorifiant la force, l’organisation géométrique des foules, elle s’intéresse en Afrique à l’anti-Aryen.
Au corps noir, et à l’aventure de gens qui se soucient très peu d’organisation. Difficile de ne pas penser que l’intéressée fait son mea culpa en prenant littéralement le contre-pied de ce qu’elle avait servi jusqu’alors. Est-ce suffisant pour effacer la part de responsabilité qui l’engage dans le travail de propagande qui a été fait de ses oeuvres et auquel elle a – de son plein gré – contribué ? Seul le temps peut le dire. Mais l’acharnement de certains détracteurs de Leni Riefenstahl emprunte parfois à ceux qu’il décrie leurs procédés. Ceux qui ont menacé l’actrice Jodie Foster de réaliser un film biographique sur Leni Riefenstahl opposent à la terreur nazie une autre forme de terreur.

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