ALM : Comment avez-vous vécu votre rôle dans Dar Lamane, mise en scène par Mohamed Zouheir ?
Samira Sakel : Avant de travailler sur cette adaptation de Mohamed Zouheir, j’avais joué auparavant dans la pièce originale « La Casa de Bernarda Alba » de Federico Garcia Lorca traduite en français. Dans l’œuvre originale, on ressent une sensibilité très accentuée. On a l’impression que c’est une femme qui a écrit la pièce. Lorca met en scène une mère de famille sévère avec ses filles et qui se contente de donner des ordres. Ce personnage correspondait à la réalité espagnole à l’époque. Une réalité qui n’est pas semblable à celle de notre société marocaine. Au Maroc, la mère a pour habitude d’être très proche de ses filles, elle les écoute sinon fait tout pour les protéger de l’autorité du père. C’est ce qu’impose en effet la société patriarcale où c’est l’homme qui dirige. Il possède l’autorité suprême.
En voulant rester fidèle à la pièce, Mohamed Zouheir a gardé cette attitude sévère de la mère avec ses quatre filles.
Cette fidélité au rôle de Bernarda Alba vous a donc dérangés ?
Je n’irais pas jusqu’à dire que cette fidélité dérange puisque cette adaptation marocaine de la pièce est très réussie. Le fait d’avoir interprété la pièce originale nous pousse à chercher un moyen original pour jouer le personnage adapté. Ainsi, pour bien incarner le rôle de Drissia tel qu’il existe dans le texte, j’étais obligée de chercher ce modèle en dehors du cadre familial conventionnel. J’ai exploré d’autres domaines et j’ai finalement trouvé le rôle tant convoité dans le registre politique. Les femmes qui détiennent le pouvoir dans notre pays, comme dans le monde entier d’ailleurs, sont autoritaires. C’était donc la seule issue pour réussir mon interprétation et pour être réellement dans la peau du personnage. J’ai donc réussi par trouver le véritable support qui sied aux caractères principaux du rôle de Drissia.
Quelle est, selon vous, la véritable vocation d’une adaptation théâtrale ?
Il y a un proverbe très connu et que je trouve assez significatif. Tout le monde sait que « traduire c’est trahir ». J’entends par là que lorsque l’on choisit d’adapter une pièce, on se trouve dans l’impossibilité de rester fidèle à l’œuvre originale telle que l’a écrite l’auteur. Mohamed Zouheir est resté fidèle dans le parcours des évènements de la pièce puisque la mère détient toujours le pouvoir. Cependant, il y a des centaines d’adaptations, mais chacune possède sa propre touche personnelle. Le metteur en scène de «Bnat Lalla Mnana» a marocanisé l’œuvre de Lorca tout en gardant le sens général de la pièce sans le déformer. Il a apporté sa propre vision de cette œuvre majeure qui symbolise le théâtre de Lorca.
Avez-vous rencontré des difficultés pour incarner le personnage de Drissia ?
Au moment d’interpréter la pièce, je me suis demandée comment j’allais pouvoir porter ce costume me couvrant de la tête au pied et paraître différente des autres comédiennes aussi frêles que moi. J’avais donc des difficultés corporelles. Je devais me différencier de mes filles et paraître très autoritaire. Je devais également faire fi de ma voix douce pour emprunter une voix grave qui dans la pièce, Drissia est celle qui crie le plus. Pour pouvoir faire face à ces difficultés d’ordres corporel et physique, j’ai dû m’entraîner pendant près de deux mois. L’aide du metteur en scène ainsi que des techniciens fut très précieuse dans le sens où toutes les défaillances et les difficultés sont très vite surmontées. C’est enrichissant.
Durant votre interprétation, quelles sont les séquences de la pièce qui vous ont le plus émue ?
Ma scène préférée dans toute la pièce est celle où la femme de ménage dispense des cours d’éducation sexuelle aux filles de Drisssia. La dame en question sait très bien que la mère veut éloigner ses filles de tout désir et de toute pulsion masculine.
Mais, pour se venger, elle profite de son absence pour lui désobéir et déballer tout ce qu’elle sait sur l’amour et le monde des hommes. Par sa malice et son esprit rusé, la femme de ménage passe des messages révolutionnaires aux quatre filles.