Culture

Salah Cherki, une légende vivante

© D.R

Ceux, et ils sont rares, chez qui le nom n’évoque rien n’auront qu’à bien regarder. C’est bien de ce personnage dont les deux chaînes nous gâtent, chichement mais régulièrement, qu’il est question. On le voit souvent assis, concentré, serein, presque immobile, n’étaient ses doigts caressant cette cithare arabe à 75 cordes que le musicien fait vibrer sur ses genoux. Mais bien sûr ! Du haut de ses 81 ans, M. Cherki n’a rien perdu de sa vitalité, encore moins de son amour pour la musique arabe et marocaine. Lui qui, né en 1923 à Salé, s’est épris de musique à l’âge de 14 ans. Ayant entamé son apprentissage par le luth, il ne tarde pas à embrasser le qanoun. Encore adolescent, c’est à l’école de la musique andalouse qu’il fait ses premières armes. Ceci, à travers feu Mâalem Mohamed Zniber. C’était à Casablanca, ville où la famille Cherki s’était installée, avant que le fils Salah ne décide, en 1949, de partir en France. La France où il reste deux ans, exerçant le métier de tisseur, mais où il est constamment accompagné de son qanoun.
« Au cours de ce séjour, j’avais rencontré des musiciens de tous les pays. Des Arméniens, des Libanais qui partageaient l’amour de cet instrument, aux différentes formes et noms, mais dont la sonorité est universelle ». De retour en 1950 au Maroc, le musicien décide de se stabiliser. Il se marie et, deux ans après, il est recruté à la RTM. Avec Abdelkrim Bouhlal, El Maâti Belkacem, El Mequi Raïssi et Ismaïl Ahmed, il fait partie du tout premier Orchestre national de la Radio et Télévision Marocaine. «C’était vraiment la belle époque. Il n’y avait pas de compositeurs à ce moment. Nous devions compter sur nos propres capacités. Chacun, individuellement ou avec d’autres, se donnait corps et âme pour tirer le meilleur de lui-même. Nous étions volontaires, ingénieux. Ce que l’un de nous composait appartenait à tous. De 1950 à 1980, l’orchestre national a composé plus de 1000 morceaux», se souvient M. Charki, non sans grande émotion. De l’émotion mais aussi de l’amertume. Salah Cherki prend sa retraite en 1984. Et il sait d’ores et déjà que les exploits d’antan ne seraient plus jamais réédités.
Son dévouement à la musique et à son éternel compagnon n’en reste pas moins intacte. Ce grand musicien, en parfait autodidacte, se lance dès 1988, dans des expériences musicales aussi originales que brillantes, en l’occurrence la constitution, avec Benadid Elakkaf et Brahim El Beloul, d’un trio composé de deux guitares et du qanoun, une sorte de musique de chambre à la marocaine, qui a séduit Orientaux et Occidentaux. «Il s’agit de la première fois dans l’Histoire de la musique arabe que le qanoun est associé à la guitare», tient à préciser Salah Cherki. Lui qui a également constitué un quintette associant le qanoun à la clarinette, la contre-basse, ainsi le tar et la darbouka. Un quintette qui s’est donnée pour mission de reprendre d’anciens morceaux, appartenant à feu Rachidi et feu El Bidaoui et les mettre à jour sous de nouvelles sonorités, plus « modernes ».
Salah Cherki a aussi écrit plusieurs livres sur la musique andalouse, le folklore marocain et sur l’orchestre national de la Radio et Télévision marocaine, qui a fait la gloire de la chanson marocaine. Des ouvrages dont certains ont été traduits en français et en anglais et dont d’autres avaient fait l’objet de la sollicitude royale de feu S.M Hassan II. Entre-temps, il aura littéralement fait le tour du monde, sillonnant les principales capitales européennes et villes américaines, ainsi que la Chine, pays auquel il s’est rendu 7 fois, l’Inde, le Brésil et plusieurs autres pays.
Autre distinction, Salah Cherki aura été le seul artiste marocain pour lequel dont la Diva de la chanson arabe Oum Kaltoum, a chanté une de ses compositions religieuses. Un grand témoin était là : feu Hassan II. La dernière sortie en date de ce virtuose du qanoun a eu lieu le 5 mars, à l’institut Goeth de Rabat. Une sortie où l’originalité a également été de mise. Salah Cherki a présenté un panorama de son instrument fétiche.
Ce pionnier de la musique moderne marocaine a présenté un diaporama dont le charme réside dans la comparaison faite entre le qanoun et des instruments certes différents mais qui présentent des similitudes, que l’artiste a pu découvrir à travers ses voyages culturels dans les cinq continents. C’est pour cette raison d’ailleurs, que son spectacle s’est intitulé «Le tour du monde avec les mélodies du qanoun ». Un spectacle accompagné, bien entendu, par le contact des doigts de M. Cherki avec les cordes de son vieil et fidèle ami.
Homme d’action, globe-trotteur et véritable expert en matière de musique arabe, Salah Cherki est aussi philosophe, à sa manière. «L’art est le reflet des peuples. La musique est la langue des nations», répond-il quand la question sur le regard qu’il porte sur la musique marocaine lui est posée. Pour lui, la culture de manière générale n’a jamais été aussi basse qu’actuellement au Maroc. «Nos responsables ne prêtent aucune espèce d’importance à la culture. La seule école désormais, c’est la télé qui impose le même regard et la même façon d’apprécier les choses à tout le monde. Et les plus belles choses passent presque inaperçues ». L’on ne croit pas si bien dire quand on se rend compte que lui-même aurait peut-être passé inaperçu, n’était sa virtuosité qui s’est imposée d’elle-même.

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