Culture

Salé, le ghetto de tous les dangers

© D.R

Une grande foule devant l’école «Al Akkad», samedi 4 mars, 15 heures. Un train venait d’écraser un adolescent, la vingtaine, à l’entrée du quartier «La Miséricorde» (Hay Errahma). Un quarteron de «GUS» tentait vainement de contenir la masse débordante, qui venait s’apitoyer sur le sort de cet adolescent, «écrasé comme un chien». Un élève ? Un riverain ? «Il doit être un délinquant du quartier», lâche un policier, indifférent.
Cet accident fait partie du quotidien d’une population, «habituée» au «spectacle» du sang, déplore un adulte, blasé. 16 heures, changement de cap. À l’autre bout du «Quartier La Miséricorde», un festival d’embouteillages venait nous «accueillir».
L’accès au quartier «Oued Eddahab» est, sinon impossible, du moins très difficile. Le semblant de route qui devait y mener est emprunté par des chariots, le moyen de transport le plus utilisé sur cette voie menant à ce que les connaisseurs nomment «El Oued El Khanez» (El Oued puant), en allusion au lit d’une rivière qui traversait le quartier, charriant sur son passage eaux usées et toutes sortes d’ordures. Nous y voilà. 18 heures. Une «armée » d’ouvriers étaient de retour chez eux, les jambes en coton et l’air visiblement chiffonné. Des regards suspicieux flinguent les visiteurs dans un univers qui a ses propres règles, sa propre loi. «La loi de la jungle», explique M. Abdelkader, un employé de la collectivité locale, à la retraite.
Il y a quatre mois, raconte-t-il, la voix étranglée d’émotion, «on m’a volé toute ma pension». Ses agresseurs, qui lui auraient soutiré sa fortune (1700 dirhams), courent toujours… Sur les chances de les rattraper un jour, M. Abdelkader ne se fait plus d’illusion. Pas plus que sur le «très hypothétique rétablissement de la sécurité» dans une zone de non-droit. «Les criminels agissent ici en parfaite collusion avec n’importe qui», accuse-t-il. Il en veut pour preuve le «cas» Fatiha Hamoud, alias « Jeblia », qui a dû «acheter le silence des autorités» pour continuer à écouler de la drogue dans son fief situé dans le quartier « Layaidia ». Un lieu qui s’est forgé la sinistre réputation de quartier général (QG) de criminels de tout acabit. «Profitant du silence, voire de la complicité, des autorités, ces criminels font la loi ici», proteste un habitant, interloqué. Et de rappeler la récente marche de protestation des habitants, sortis manifester spontanément contre les «graves agissements» d’une bande de voleurs cagoulés.
En effet, ces bandits ne se sont pas contentés d’arnaquer les gens hors de chez eux, au nez et à la barbe de quelques éléments de la Gendarmerie. «Nous avons peur d’être attaqués chez nous», confie un jeune habitant du quartier «Mouazzat», 23 ans. Cette crainte s’est nourrie dernièrement, après que des jeunes bandits éméchés se sont introduits dans une maison pour «kidnapper» une femme qu’ils auront, par la suite, violée à tour de rôle. Les auteurs du crime ne sont pas des « étrangers », « nous ne les ignorons pas, pas plus d’ailleurs que les éléments de la Gendarmerie.
Mais ce qui est étrange, c’est qu’ils continuent de bénéficier de l’impunité totale », s’étonne un étudiant. Plus étrange encore, ajoute un autre, « la police ne s’est pas encore établie chez nous, alors que notre quartier fait partie du périmètre urbain de Sala-Al Jadida ». Ce soir, il n’y avait, en effet, aucune trace de poste de police. Seulement deux gendarmes, accompagnés de quelques éléments des Forces auxiliaires, patrouillent dans ce quartier bondé, a-t-il constaté.
Et de regretter la non-installation d’un poste de police dans le quartier «Al Houat», prévue pour le 1er janvier dernier. Cette absence remarquée d’un nombre suffisant des forces de l’ordre ne devait qu’aiguiser les appétits des trafiquants de stupéfiants, des rabatteurs et autres entremetteuses rompues au commerce de la chair, sans oublier évidemment ces délinquants qui, désespérés par leur misère, tombent entre les mains des intégristes.
Voilà, le mot est lâché. Saïd. M, un natif de Salé, a bien voulu citer, à l’appui de sa thèse, un exemple vivant de l’activisme intégriste dans sa ville.
Pour lui, Hassan Kettani a joué un rôle-clé dans la propagation de l’idéologie obscurantiste chez les jeunes. Après des études en théologie en Arabie Saoudite, cet activiste islamiste a voulu transmettre, une fois de retour à Salé, où il est né en 1972, les principes radicaux de l’idéologie wahhabite. «Ses disciples n’étaient autres que de jeunes marginaux en rupture de ban, qu’il a réussi, au fil de plusieurs années de prêche, à faire adhérer à ses idées destructrices», reproche Saïd M, en prêtant à M. Kettani la «paternité d’un groupuscule violent qui opérait au nom de la Salafia Al Jihadia». Mais voilà, déplore un habitant du douar «Al Hout», «il semble que le Maroc a la mémoire courte. Après les tragiques événements du 16 mai, rien n’a été fait par les autorités pour mettre les jeunes à l’abri de la misère, un terreau propice à la diffusion des fondements de l’intégrisme».
«Les jeunes délinquants, paraît-il, ont trouvé facilement un dérivatif à la toxicomanie, en allant chercher dans la littérature intégriste une autre forme de drogue encore plus dangereuse, à savoir le culte du djihad et la haine d’une société accusée d’apostasie», a-t-il expliqué, lucide. Mais passons, il y a le plus grave. Pour un jeune instituteur, enseignant à l’école «Al Allam Mohamed Doukkali», l’intégrisme qui règne à Salé se nourrit, au-delà de la misère ambiante, du silence, voire de l’indifférence de l’Etat. «L’Etat semble pratiquer la politique du sapeur-pompier, au lieu de regarder le mal en face et le traiter à la racine », fait-il remarquer.
Changement de décor. Nous sommes à Bab Sebta. Un quartier certes moins dangereux, sachant bien qu’il se trouve à quelques encablures du poste de police (à côté de la gare Salé-ville), mais le dispositif sécuritaire reste insuffisant pour remédier à la délinquance d’une jeunesse livrée à elle-même.
Abdesslam A, élève de son état, a dû abandonner ses études. Et pour cause : ses « mauvaises fréquentations », reconnaît sa mère, Wafaâ A.
« Depuis quelque temps, j’ai remarqué que mon fils rencontrait des jeunes très peu fréquentables. Ainsi a-t-il appris à se shooter à la drogue, comme le laissaient voir ses yeux et ses lèvres devenues noires », raconte-t-elle. «Avec son père, j’avais beau essayer de remettre mon fils dans le droit chemin. C’était trop tard.
L’enfant ne voulait plus arrêter de se droguer. Ni continuer à poursuivre ses études», a-t-elle regretté, impuissante.
La situation échappe non seulement à des parents dépassés, mais aussi et surtout à des responsables qui ne devront plus prétendre ne pas savoir.

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