Treize personnes inculpées. Des condamnations allant de six ans à six mois. Un cumul de peine de 31 ans. Une maison d’hôte fermée dans le quartier Issil. A quelques pâtés de là, une salle de sport devenue suspecte. Une quiétude de quelques résidences meublées, derrière Marjane dérangée. La tranquillité d’une maison d’hôtes dans les environs de la vallée d’Ourika éclaboussée.
Et, dans l’air lourd du tribunal de première instance de Marrakech, pris d’assaut ce vendredi 3 mars 2006 par quelques militants de l’association «Touche pas à mon enfant», de nombreuses questions en suspens.
Une impression de malaise, assez perceptible sur les mines graves des juges qui veulent expédier au plus vite une affaire gênante en terre d’Islam, dans une société où le «Hchouma » de rigueur étouffe tout débat sur la pédophilie.
Ainsi, s’est terminée la retentissante affaire du tournage de films pornographiques à Marrakech. Mais, vu de près, le dossier est loin d’être clos, puisque le présumé «cerveau» court toujours. Quelques jours avant le coup de filet de la police, le producteur a miraculeusement quitté le territoire national.
En son absence, les autorités judiciaires ont dû se rabattre sur le propriétaire de la caméra professionnelle qui servait pour le tournage des ébats qui, précisons-le, se passaient entre adultes.
L’homme, de nationalité française et qui, trois ans après son arrivée au Maroc, a érigé une maison d’hôte à Guéliz, a été acquitté en même temps que trois autres personnes. Avertissements sans frais aussi pour un propriétaire d’une maison d’hôtes du côté de la vallée d’Ourika.
Mais, il n’en sera pas ainsi, pour Joel R., gérant de la maison d’hôte «Blue Citron », ouverte il y a huit ans et sise à la rue Amrou Ben Salma dans le quartier Issil. Ce bijou de six chambres, avec un grand salon, une piscine, un jardin, un solarium a été «définitivement fermé».
Le propriétaire, Joel Roy, est en prison en compagnie de quelques uns de ses employés. L’individu qui clame son innocence, déclare à ALM (avant le verdict) ne pas savoir ce qui lui arrivait. «Je n’ai rien à voir avec cette affaire de pornographie», explique-t-il. Ce n’est pas l’avis des juges.
Les choses se sont vite emballées. Ce sont d’abord les employés qui ont été arrêtés pendant six jours. Le gérant les rejoindra derrière les barreaux durant 24 heures. Puis, ce fut l’attente du jugement et le verdict implacable aussi bien pour le gérant (4 ans) que l’un des employés (3 ans).
D’après sa version, son seul tort est d’avoir eu quelques clients de sa maison d’hôte, des personnes qui’il n’a plus revues depuis une année, reconnus dans le tournage en question. «Je n’ai rien à voir avec cette histoire », conclut-il. Mais, impitoyable, la ville ocre a déjà repris ses activités, la roue de l’industrie touristique, sa marche en avant, écrasant sur son passage les «imprudents», ceux comme R. qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.
Après ce jugement, Marrakech espérait replonger tranquillement dans sa torpeur, bercée par la douce cadence des statistiques des arrivées et des nuitées touristiques. Un intermède qui permettrait aux uns de digérer ce fâcheux incident et aux autres de se convaincre définitivement que la ville ocre n’est pas une destination sexuelle, qu’après le Tsunami, Marrakech, en reprenant une célèbre citation de Omar Jazouli, maire de la ville, n’est pas la Thaïlande. C’est raté.
Moins d’une semaine après le jugement, une secousse tellurique réveille une nouvelle fois l’opinion publique de la ville. C’était vendredi 10 mars 2006. Cette fois-ci, il s’agit d’une affaire de pédophilie. Un Néerlandais est pris en flagrant délit dans un appartement à Guéliz en compagnie d’un mineur.
En double infraction vis-à-vis de la loi marocaine (pédophilie et homosexualité), le jugement devait avoir lieu vendredi au tribunal de première instance de Marrakech. L’affaire, assez rapprochée du démantèlement du réseau de la pornographie, intéresse de près la presse néerlandaise et de nombreuses associations dont Ecbat International. Cette organisation qui projette d’ouvrir une antenne à Marrakech, est à la pédophilie ce que l’OTAN est aux armées des pays membres du traité de l’Atlantique Nord.
A l’occasion du procès qui a lieu vendredi, des membres de l’association entendent faire entendre leurs voix, aux côtés de celle de Khadija Anouar présidente de l’association «Touche pas à mon enfant», afin que la justice fasse son travail. «Pour les cas d’homosexualité, ce n’est pas notre problème, bien qu’en général nous luttions contre toute forme d’exploitation sexuelle. Mais dès qu’un enfant est concerné, nous nous portons partie civile », explique Mme Anouar.
Mais décidément, il était écrit que la Médina ne replongera pas de sitôt dans sa torpeur et ses soirées mondaines.
Deux jours après cette arrestation, œuvre d’une section de la brigade touristique, engagée dans la lutte contre l’exploitation des mineurs, deux autres Néerlandais sont interpellés. Là aussi, en flagrant délit. Mais avec des jeunes marocains de 19 ans et plus. L’association «Touche pas à mon enfant» se garde bien dans cette affaire, de se porter partie civile. «Cela suffirait commente l’avocat Mustapha Rachidi, qui connaît bien le dossier pour avoir défendu de nombreux clients, d’ameuter toutes les organisations de défense des droits de l’Homme.
Ce qui dérange ici à Marrakech, précise-t-il, ce n’est pas l’homosexualité, mais c’et surtout la pédophilie.
Mais avec l’homosexualité aussi, une ville cosmopolite comme Marrakech se retrouve régulièrement dans des situations embarrassantes. Que doit-on faire lorsque un couple d’homosexuels mariés se présente devant un hôtel, certificat de mariage à la main ? «Nous avons besoin de concertations entre tous les décideurs de la ville, les opérateurs économiques pour nous poser un certain nombre de questions. En particulier, conclut l’avocat, pour savoir si nous sommes toujours dans des cas, ou comme on le craint en présence de réseaux de pédophilie bien organisés ? », conclut Maître Rachidi.
Cas isolés ou réseaux industriels ?
Y a-t-il donc une industrialisation de l’exploitation des mineurs ?
La question a été pour la énième fois reposée, l’année dernière, quand H. G (qui purge une peine de quatre ans) avait été arrêté, en possession de plusieurs films.
Parmi les victimes, 50 mineurs et un garçon de 23 ans (celui qui avait révélé l’affaire) qui se suicidera. Là aussi, le dossier s’était refermé sur des jugements, des arrestations. Mais jamais sur un débat. Dans l’ordinateur de H. G, la police découvrira pourtant 17000 courts extraits de films et plus de 100000 photos mettant en scène des adolescents. Quelques temps par la suite, des hauts lieux de la nuit sont fermés. L’un n’étant pas lié avec l’autre, on ne comprendra jamais pourquoi la Bodéga de Marrakech a été priée du jour au lendemain de baisser le rideau.
«De l’analyse des cas de pédophilie traités par les services de police de la ville, il ressort que ces actes-occasionnels et isolés- ne s’inscrivent pas dans un contexte collectif ou organisé, et que les auteurs ne font partie d’aucun réseau ou bande susceptible de s’activer dans le domaine de la pratique sexuelle dite «pédophilie» », conclut doctement un rapport de police daté de 2005 et repris par une association locale.
Côté chiffres, depuis 2004, l’association «Touche pas à mon enfant », note cinq cas de pédophilie où sont impliqués des étrangers. Il s’agit indique-t-on d’ «Européens, de célibataires ou divorcés ou de retraités qui n’ont aucun lien entre eux ». Le mobile n’est pas commercial mais juste limité à la satisfaction du vice.
Les lieux d’accomplissement de ces actes ne sont pas des hôtels (plutôt bien notés ) mais surtout des résidences personnelles. De là à jeter le discrédit sur les 400 maisons d’hôtes recensées dans la Médina de Marrakech, il n’y a qu’un pas.
En fait, entre les nombreux passionnés de riads, il y a forcément des cas en porte-à-faux avec les règles de la cité. Que dire par exemple de ces demeures répertoriées sur Internet dans le site Arc en ciel de la communauté LGBT (lisez Lesbiennes, Gay, bi et trans) ?
Le site en question présente une description des bonnes adresses pour gays, citant notamment un célèbre Café au carrefour de deux artères principales de Guéliz, et surtout une boîte de nuit, capitale de la nuit de Marrakech des années 90 et dont l’appellation évoque une pierre précieuse. «C’est l’établissement le plus gay-friendly de la ville.
100 dirhams de charge de porte inclut votre première boisson», commente le site qui se permet quelques comparaisons entre ce tarif bon marché et les destinations de luxe. Le site français Gay Province propose une visite guidée, en donnant le nom de plusieurs riads dans les quartiers du Riad Zitoun Jdida, du Palais Bahia, d’autres sites gay rappellent leurs ouailles à la raison : est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et à une amende de 120 à 1000 dirhams quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe». Une dissuasion obsolète ?