Culture

Souad Massi : «Je suis jalouse du Maroc»

© D.R

ALM : Vous avez refusé de chanter à Tel-Aviv. Dans le monde arabe, certains ont affirmé le contraire et un appel au boycott a été lancé contre vous.  Comment avez-vous réagi ?
Souad Massi : Le centre culturel français a organisé une tournée au Moyen-Orient qui commence en Egypte, et qui devait passer par Dubaï, Abu Dabi, la Jordanie, Ramallah et Tel-Aviv. Cette proposition m’a fait plaisir, mais j’ai refusé de chanter à Tel-Aviv. C’est une décision tout à fait personnelle. Je n’ai pas peur d’y aller, mais c’est difficile pour moi, je me sens mal à l’aise. Même si je suis une artiste internationale et qui chante pour la paix, je ne me sens pas prête à chanter en Israël. Malgré le fait qu’il y ait une demande et que là-bas, il y a des gens qui oeuvrent pour la paix, pour l’ouverture d’esprit et le dialogue, ça me touche, mais ils savent très bien que je suis arabe et musulmane. Les Français, par exemple, ne comprennent pas, ils n’ont pas la même façon de voir les choses que nous, au Maghreb ou dans le Moyen-Orient. Dans le monde arabe, nous ne sommes pas encore prêts pour ce genre de démarche. Cet appel au boycott m’a rendu triste car les gens ne cherchent pas à comprendre que si ce ne sont pas les artistes qui construisent les ponts de la paix, qui va le faire ? Les hommes politiques ? Non, ils ont déjà du mal à s’entendre entre eux. D’autre part, beaucoup de pays arabes font du commerce avec Israël, ça ne les dérange pas, mais quand un artiste veut tenter de faire des choses, il est critiqué, je trouve ça vraiment hypocrite.

Etre venue ici, à Ramallah, en Palestine, c’est important pour vous ?
Oui bien sûr, je suis très contente d’être ici. Je commence mon concert par une chanson qui dit, voila je vous ai promis de venir, je suis là. Cette chanson a plus d’importance pour moi ce soir, car elle a plus de sens ici, en Palestine, qu’ailleurs. Nous avons été au Soudan aussi alors que la situation est très difficile.  Nous devions aller à Gaza, mais ça a été annulé pour des raisons de sécurité. C’est une forme d’engagement d’aller dans ce genre d’endroit. Les gens ont besoin d’artistes, de musiques, d’espoir, de contacts et d’échanges. Ils ont besoin de sentir qu’ils sont soutenus et qu’ils ne sont pas seuls.
Lorsque j’ai quitté l’Algérie, j’étais en colère contre tout le monde car j’avais l’impression qu’on était abandonné. Quand je suis arrivée en France, je me suis rendue compte que plein de gens s’intéressaient à la situation en Algérie, ils étaient tristes et voulaient nous aider sans savoir comment faire. Ça m’a redonné de l’espoir. Je suis retournée chez moi et aujourd’hui je pense que mon rôle en tant qu’artiste est d’apporter un peu d’espoir.

En Palestine, avez-vous vu des ressemblances avec l’Algérie ?
J’ai visité un camp de réfugiés et j’ai été surprise car ça ressemble au vieux quartier d’Alger. Ce sont des maisons qui sont très mitoyennes, il n’y a pas beaucoup d’espaces. J’ai rencontré une famille qui m’a invité à boire le thé et j’ai vraiment été touchée par sa générosité.  Par rapport à la guerre, chez nous c’était une guerre civile, mais j’imagine l’état d’esprit des gens qui vivent ici, les pressions qu’ils subissent, l’incertitude, l’angoisse. Je crois que ce sont des sentiments que je partage et que je connais et j’imagine l’impact qu’un concert comme le nôtre ou d’autres activités culturelles peuvent avoir sur eux.

Quelles différences voyez-vous entre le public que vous avez rencontré, notamment avec l’Algérie ?
Par rapport au public algérien, j’ai été très triste car de nombreux concerts en Algérie ont été annulés sans aucune explication. Alger est censée être la capitale culturelle arabe de cette année et franchement quand je regarde mon mari marocain et ce qui se passe dans son pays, j’ai l’impression que c’est le Maroc la capitale culturelle du monde arabe. Il se passe tellement de choses chez vous : toute l’année il y a des festivals et des manifestations culturelles. Ça me rend triste pour l’Algérie car je ne peux pas défendre mon pays. Je ne sais pas si c’est lié à des problèmes d’organisation, mais à part l’ouverture de l’année culturelle à Alger, je m’attendais à de plus grosses manifestations. D’autre part, il y a plein de tabous en Algérie, la discussion est impossible. Les films son censurés parce qu’on parle de musique, de chrétiens ou de juifs. Il y a toujours un malaise. Les réalisateurs n’ont pas d’argent, ils s’autocensurent car ils savent que, sinon, leur film ne sera pas diffusé. Il y a pourtant beaucoup d’artistes qui ont du talent en Algérie et il faut leur donner les moyens de travailler. On n’a pas d’excuses. Je suis jalouse du Maroc et de ce qui s’y passe.

 

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