Culture

«Tout le monde a le droit de lire…»

© D.R

ALM : Comment se porte le livre pour enfant et l’édition-jeunesse en général ?
Nadia Essalmi : On peut dire que cela va beaucoup mieux qu’avant. Il y a quelques années, elle était quasiabsente. Depuis la naissance de « Yomad » en 1998, cela a donné l’envie à d’autres éditeurs d’ouvrir d’autres maisons. Bon, si je dis que ça va mieux, ce n’est quand même pas le paradis. Mais du moment qu’il existe des livres qui parlent de l’enfant, de sa culture, c’est déjà un pas important. Car, en réalité, l’enfant est marginalisé. On ne s’occupe de lui en tant que personne entière que lorsqu’il devienne adulte. D’ailleurs, on dit bien : « Ce n’est qu’un enfant ».
Voulez-vous dire qu’il n’a pas la place qu’il mérite dans la société ?
Tout à fait. C’est flagrant, la société néglige l’enfant. L’absence de structures dédiées à l’enfant est une évidence. Pas de parcs, de cinémas, de bibliothèques… C’est pour ça qu’il est imminent de se pencher sur l’enfant et de lui donner sa place dans la société.
En tant qu’éditeur, on se bat, on souffre mais avec passion et amour, car c’est vital pour accomplir cette mission.
Mais en termes de consommation de livres, ce n’est pas la grande joie…
C’est vrai, ce n’est pas la grande joie. Nous éditons trois ou quatre livres par ans, c’est ridicule, c’est une honte. En France, par exemple, c’est une cadence d’un livre par jour et par édition. Mais je pense qu’il faut quand même passer par là.
Où se situe le problème exactement ?
En fait, il y a beaucoup de facteurs qui bloquent. Entre analphabétisme, enseignement défectueux, structures culturelles absentes, un manque en bibliothèques, ce ne sont pas les entraves qui manquent.
Le rôle que joue la bibliothèque est très important, elle encourage l’enfant et lui donne goût à la lecture. Les enseignants ne jouent pas non plus le rôle qui leur incombe et, il faut le reconnaître, nous autres Marocains n’avons pas une culture de la lecture. À l’étranger, ce sont les gens qui vont vers le livre. Chez nous, on doit amener le livre chez les gens. On organise des rencontres afin d’en faciliter l’accès. Vous savez, les enfants ne connaissent que le livre scolaire, un livre qui, généralement, rebute l’enfant. C’est pour cela qu’on parle du livre-plaisir, en ce qui concerne le livre pour enfant, qui sert aussi bien à cultiver qu’à divertir.
Il ne faut pas non plus que ce soit un livre où la morale est présente à chaque bout de paragraphe. L’enfant passe toute la journée à l’école, donc c’est « morale toute la journée ». Maintenant, s’il devrait retrouver une bonne dose de morale le soir, à travers ses livres, il finira par rejeter la lecture. Certes, on donne des valeurs, mais en douceur, sans que cela ne soit flagrant.
Un autre facteur, déterminant celui-ci, entrave sérieusement l’accès au livre, c’est le prix qui n’est pas accessible à toutes les bourses. Qu’en pensez-vous ?
C’est tout à fait vrai. Le pouvoir d’achat ne suit pas, c’est une réalité. Mais là par exemple, il y a une stratégie qui, si elle arrivait à fonctionner, résoudra énormément le problème. Il faut tout d’abord savoir que le prix de revient d’un livre pour enfant coûte excessivement cher. Donc, je cible la classe moyenne et une certaine élite, mais il ne faut absolument pas en déduire que je suis élitiste, non. Car, si on arrive à vendre une quantité suffisante de livres, cela se répercutera sur son prix et son accès à la classe démunie n’en sera que facilité. En d’autres termes, les gens qui ont les moyens ont la capacité de réduire le prix du livre. Malheureusement, ce sont les gens qui ont les moyens qui ne lisent pas, préférant investir dans les jeux-vidéos, les ordinateurs, etc. Certains se contentent de disposer d’une bibliothèque garnie d’encyclopédies, rien que pour la décoration, sans plus.
Mon souhait est de faire des livres pour la classe défavorisée qui, à l’inverse, recèle un grand lectorat. N’est-ce pas frustrant ? Mais ce n’est, malencontreusement, pas une évidence, car nous n’avons pas les moyens de faire un livre à petit prix. Si l’on pouvait bénéficier d’un soutien de l’Etat ou d’ailleurs, pourquoi pas ? C’est, en fait, un cercle vicieux. Ce qu’il faut, c’est mettre en place une politique du livre, pour que l’enfant issu de la classe défavorisée exerce son droit de lire.
Qu’en est-il au niveau des points de vente ?
Sur ce volet-là, le libraire fait office d’intermédiaire entre le lecteur et l’éditeur. Cela dit, pour un livre qui coûte 15, 20 ou même 50DH, ça ne lui rapporte pas grand-chose et il préfère se rabattre sur le livre importé.
En conséquence, si vous entrez dans une librairie, vous ne trouvez, par exemple, que les éditions « Gallimard » en première façade. Si nous désirez une édition marocaine, il faudra allez fouiller dans les recoins de la librairie. C’est malheureux, mais la part d’exposition du livre marocain est trop faible par rapport à celle du livre étranger. Il y a une sorte de complexe du livre étranger. Je me souviens, lors d’une exposition, de deux bonnes femmes qui sont entrées dans le lieu de l’expo et, en voyant nos livres, l’une d’elles a lancé à l’autre : « Allez ! On se barre, il n’y a que les locaux ! » (hadou ghir diawelna). C’était horrible…
À la lumière du boom que connaît l’audiovisuel, conjugué au faible lectorat marocain, peut-on craindre pour la lecture chez nous ?
Pas du tout ! Au Maroc ou ailleurs, je suis convaincue que le livre aura toujours sa place. Le livre, ce n’est pas seulement une séance de lecture, c’est un contact charnel. Vous pouvez l’ouvrir et le fermer à votre guise, le mettre où vous voulez. Vous pouvez même dormir avec un livre. Là, essayez de dormir avec votre ordinateur ou votre téléviseur, vous allez voir ! (Éclat de rire général)
Bref, le livre procure un contact qui ne peut être remplacé. J’éprouve un grand respect pour le livre.
Quand je vois des gens qui n’hésitent pas à plier la page d’un livre, pour retrouver l’endroit où ils ont arrêté leur lecture, vraiment ça m’offusque, c’est du non-respect pour cet objet.
Enfin, un livre, c’est un début, une fin. Il y a une certaine architecture dans un livre. Parfois, le centre du livre correspond au milieu exact de l’histoire, l’auteur fait en sorte que chaque partie du livre soit construite au gré de l’avancement de l’histoire, c’est fantastique.
Mais là, votre conception et, surtout, votre passion du livre ne reflètent-elles pas la vision d’une petite minorité ?
Certes, c’est minoritaire comme vision, mais cela n’empêche pas que l’on peut faire aimer le livre et partager cette passion avec tout le monde. Pourquoi ne pas utiliser l’image pour faire connaître et aimer le livre.
La télé a une grande importance et l’on peut l’utiliser pour promouvoir le livre, ne serait-ce que pendant quelques secondes quotidiennes ou, à la limite, hebdomadaires, le temps d’en parler et de l’expliquer, de préférence en arabe dialectal. Car si tout le monde regarde la télé, beaucoup de gens ne saisissent rien de l’arabe classique, ou pas comme il se doit. Prenez le cas d’un enfant à qui vous lisez une histoire et à qui vous l’expliquer, il s’accroche fermement à votre lecture… il vous en remerciera et vous en redemandera sans cesse.

Articles similaires

Culture

Théâtre universitaire / FITUT : Une 17ème édition pour développer les compétences transversales des étudiants

Ce festival prévoit d’accueillir encore cette année des représentations théâtrales de plusieurs...

Culture

Rencontres cinématographiques et numériques de Cotonou : «Sahari Slem Wesaa» primé

Le long métrage « Sahari Slem Wesaa » du réalisateur Moulay Taieb...

Culture

Elle traite de la calligraphie arabe, du patrimoine traditionnel et amazigh: «L’art, nourriture de l’âme», une exposition collective à Fès

Une exposition collective, sous le thème «L’art, nourriture de l’âme», des artistes...

Culture

A l’ex-Cathédrale Sacré-Cœur de Casablanca: L’AMMA organise un concert dédié à la musique andalouse

Les amateurs de la musique andalouse sont invités à fêter la musique...