Culture

Une passion salvatrice

À voir sa tête, il ne peut être que comédien. Et pas n’importe quel comédien: il fait partie de la race des bons. Ceux qui détiennent le secret de la faconde, le feu de la verve. Ceux dont le corps mince, filiforme, s’ouvre à chaque fois l’espace comme pour une conquête. Ses yeux noirs et malicieux le font ressembler à un diablotin, toujours prêt à jouer de mauvais tours à quelques personnes ou à en sortir d’autres d’un pétrin inextricable.
Pas moyen de se tromper : on reconnaît le comédien de race en le voyant. Rien ne prédisposait pourtant Abderrahman Oulhaddi à devenir le grand comédien qu’il est aujourd’hui. Il est né à Casablanca en 1962 dans une famille qui l’a comblé d’affection, mais qui n’avait jamais pris le chemin d’une salle de théâtre. «Mon métier, c’est un don du ciel, un merveilleux cadeau. C’est le maktoub comme on dit», précise l’intéressé lorsqu’on l’interroge sur son fabuleux destin. Son premier rôle, il l’a joué à l’âge de huit ans dans cette grande scène qu’est la vie. Un rôle prémonitoire de ceux qu’il jouera plus tard dans l’enceinte d’une salle.
Le jeune Abderrahman se promenait allègrement en compagnie d’un ami au bord de la mer. Il faisait briller une pièce de 20 centimes au soleil. Il l’envoyait très haut dans le ciel et tendait sa main pour l’empêcher de toucher le sol. Cette pièce constituait un vrai trésor pour les deux amis. Un trésor qui a attiré la convoitise d’un passant plus âgé et plus costaud. Il veut s’emparer de la pièce. Abderrahaman aperçoit un secours inespéré en un homme qui passait à proximité. Il court à lui, s’agrippe à sa djellaba et crie à tue-tête : «Père ! père ! il veut nous voler!» Le gaillard prend peur et s’enfuit.
Quant à l’homme en djellaba, qui voyait pour la première Abderrahman, il a eu tout le mal du monde à s’arracher de l’emprise du jeune furet. Après, il a continué son chemin en jurant à mi-voix contre les enfants qui ne respectent plus rien. Premier rôle réussi d’Abderrahman. Peu de temps après, à l’âge de 10 ans, il émigre en France. Ses amis choisissent de l’appeler Abder. Il suit dans ce pays une formation en électrotechnique et trouve facilement de l’emploi dans une entreprise. Abder est un ouvrier consciencieux, régulier. Cette régularité n’a pas empêché l’entreprise de fermer ses portes. Abder se retrouve sans emploi. C’est alors qu’une amie l’entretient d’un stage de théâtre. «Tu vas t’y amuser !», lui dit-elle. Abder se présente, passe à son grand étonnement avec succès l’audition et s’embraque dans une aventure qui n’en finit pas d’émerveiller.
Au bout de quatre spectacles, il reçoit la proposition d’intégrer l’un des plus grands théâtres de l’ÃŽle-de-France : la Cartoucherie de Vincennes. Il y reste six ans pendant lesquels il a appris son métier en professionnel, il l’a exercé avec passion. Il a tenu des rôles principaux dans des pièces comme «Le Roi se meurt», «Ubu Roi», «Le Malade imaginaire» ou «Don Juan». Abder ne se fait pas seulement remarquer dans le milieu du théâtre par la qualité de son jeu, mais aussi par ses habitudes qui ne concordent pas avec le mode de vie des comédiens. C’est ainsi qu’il rentre directement chez lui après la fin de chaque spectacle. Il a gardé dans ce sens ses habitudes d’ouvrier qui regagne son espace une fois son travail terminé. Il se distingue de la vie de bohème des comédiens. Abder n’est pas un noceur. C’est par le travail acharné et régulier qu’il veut s’imposer. Cette exigence de qualité l’a porté à perfectionner son métier sous la férule de l’une des plus grandes metteuses en scène en Europe : Ariane Mnouchkine. Une femme dure, intransigeante, implacable envers ses comédiens. On dit souvent que ceux qui résistent aux recommandations de Mnouchkine feront après leur métier comme une sinécure.
Abder a tenu bon ! Il a réussi son initiation avec une metteuse en scène dont le nom se confond avec l’histoire du théâtre contemporain. Aujourd’hui, il nous revient au Maroc pour jouer un rôle taillé de toutes pièces pour lui : Harpagon, l’avare de Molière. Il sera très difficile de le voir s’écrier : «Ã” ma chère cassette!» sans penser à l’enfant de huit ans qui avait imaginé un brillant subterfuge pour ne pas perdre sa pièce de 20 cm.

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