Culture

Une poudrière nommée Ksar el-Kébir

© D.R

Le 16 septembre 2006, Hay Annahda (ex-douar Al Askar), Ksar el-Kébir. L’incendie, qui s’est déclaré à Boujediane – un couvert forestier situé aux alentours de la ville – domine les discussions sur les terrasses de café. Le bruit des canadairs, engagés contre le feu qui dévastait la région, tranche avec la nonchalance de la ville. A 19 heures à peu près, alors que les moteurs des appareils se sont tus, un autre bruit court.
Des trafiquants de cannabis à bord de 4X4 en provenance de Chaouen ont failli écraser une poignée de marmots qui jouaient sur le boulevard «Taffett». Repérés par une patrouille des services de sécurité, et après une longue chasse-poursuite, les dealers ont pris la fuite, ne laissant derrière eux qu’un tourbillon de poussière. «L’incident n’a pas fait de victimes », soupire un père de famille. Mais voilà, «ce genre d’incidents est devenu notre lot quotidien», s’insurge Mohamed Moudden, un habitant de douar Al-Askar. «Si ce n’est pas une affaire de trafic de cannabis, alors c’est une histoire de contrebande», ajoute-t-il, l’air désolé. Mais plus désolé, est le devenir d’une ville livrée à elle-même. Rachid, le neveu de M. Moudden, un résident marocain en Espagne, constate non sans révolte que sa ville natale devient le lieu de toutes sortes de trafics. «Trafic de cannabis, contrebande, émigration clandestine…», énumère-t-il. «Ksar el-Kébir ne mérite pas ce qui lui arrive», déplore le grand-père de M. Moudden. Pas plus que sa population qui, à travers plusieurs siècles, su «triompher de tous les complots colonialistes», renchérit-il.
Et de rappeler, sur un ton haché mais fier, la bravoure légendaire des 40.000 cavaliers du sultan almohade Abdul Malek qui anéantissent les troupes du roi du Portugal Sébastien 1er, lors de la célèbre Bataille des trois Rois le 4 août 1578, au bord de la rivière Makhazen, à Ksar el-Kébir. Forte de cet événement historique, Ksar el-Kébir, «Alcacer-Quibir» (en portugais), peut se prévaloir aussi d’avoir accueilli, de tous temps, érudits, mystiques et réfugiés d’Al-Andalus, tel que Ibn Ghalib, originaire de Silves, qui s’y installe et y fait venir plusieurs disciples d’Ibn al-Arif, grand mystique d’Almeria.
Refuge des érudits et des mystiques arabes victimes de la reconquête chrétienne, Ksar el-Kébir peut également présumer d’avoir offert le gîte aux Juifs expulsés par les rois catholiques, formant une communauté autour de leur chef spirituel Yehuda Zabali.
Symbole de convivialité et de dialogue inter-confessionnel, la ville semble renier aujourd’hui son passé. Ksar el-Kébir devient le terreau de l’activisme islamiste. Il suffit de constater que l’ex-dirigeant du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), Ahmed Rissouni, est originaire de cette ville. C’est à Ksar el-Kébir que ce prédicateur a créé son premier mouvement baptisé «Rabitat Al Mostakbal Al Islami» (Alliance du futur islamique). Aujourd’hui, plusieurs associations islamistes s’activent dans les milieux des jeunes. Profitant de la colère grandissante des «kasrawis» contre l’anarchie de leur ville, conséquence d’une gestion communale désastreuse, plusieurs groupuscules islamistes ont réussi à rallier plusieurs dizaines de jeunes à leur idéologie radicale.
Pour le reste, c’est-à-dire les jeunes qui ne sont pas tombés entre les griffes de l’islamisme, ils n’ont qu’une idée en tête : pouvoir un jour traverser de l’autre côté du bassin méditerranéen.
La mort, il y a peu, de dix-huit jeunes habitants de Douar Al-Askar noyés dans le large espagnol reflète le désespoir d’une jeunesse livrée à elle-même. Pour nombre d’entre eux, la mort serait plus clémente que la perte de dignité.

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