Culture

Une première au Maroc : La truffe noire de Tifzouine

© D.R

Il y avait foule en ce samedi matin 17 février 2007 à la ferme «Tifzouine», 1700 mètres d’altitude sur les hauteurs du plateau de la Gaada, surplombant la petite agglomération de Debdou, dans le Maroc oriental, à une centaine de kilomètres d’Oujda. Et du beau monde ! Jugez-en : Pierre Sourzat, considéré comme le spécialiste numéro un de la truffe dans le monde. Il est notamment le co-auteur du «Grand livre de la truffe» (Robet Laffont, 1988), la bible des trufficulteurs et de tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à ce produit de luxe. Ensuite, le Dr. Johann N. Bruhu, mycologue américain de l’université de Columbia, le Dr. Mohamed Abourouh, mycologue et directeur du Centre de recherches forestières de Rabat, Mme Paulette Pedesco, 12 fois championne de France de dressage de chiens truffiers, en duo avec Alf, le chien berger noir qui ne tient pas en place, Sylvie et Bertrand Peypelut promoteurs d’une entreprise «Saveurs et terroirs du Maroc», basée à Imouzzer du Kandar et spécialisée dans les produits de cueillette et forestiers du Maroc. Et enfin, le maître de cérémonie, le Dr Abdelaziz Laqbaqbi, en compagnie de Asmoune, le labrador au pelage beige, destiné à une prometteuse carrière de chien truffier en pays maure, comme on aurait dit dans le temps.
Sauf que dans le temps, même dans les rêves les plus fous des explorateurs pré et post-colonialistes, des pionniers agriculteurs et agronomes partis à la découverte de tout ce qui pourrait prendre racine sur la terre marocaine, jamais il ne leur était paru possible de faire cueillir sur cette terre, de la truffe noire, de la variété dite mélanosporum, la vedette toutes catégories de la truffe dont la capitale généalogique est la région du Périgord, dans le sud-ouest de la France.
Et pourtant, c’est désormais un fait scientifiquement prouvé et attesté, et cette prestigieuse assistance n’est là que pour une sorte de certification académique d’une prodigieuse prouesse scientifique qu’a réalisée le Dr Laqbaqbi, comme une sorte de pari fou qu’il s’est fixé tout seul en y mettant toute sa passion, une bonne dose d’utopique rêverie et un investissement consistant en ressources financières, en effort intellectuel et en engagement personnel durant …plus de huit ans.
Héritier d’une longue tradition familiale de travail de la terre, à l’est du Maroc, Abdelaziz Laqbaqbi s’est orienté vers une carrière professionnelle en médecine. Une formation en France, à Reims précisément, où il obtint ses diplômes en tant que chirurgien orthopédiste et traumatologue, puis il a exercé dans divers établissements hospitaliers du sud-ouest de la France. Parallèlement à sa profession en tant que chirurgien, ses gênes de fils de propriétaires terriens et d’agriculteurs, vont être interpellés au contact de cette symbiose que les gens du Lot français entretiennent avec le terroir et les merveilles qu’ils cultivent ou cueillent de cette terre si riche et si accueillante.
Rentré au Maroc dans les années quatre-vingt dix, il s’installa à Casablanca où il jouit d’une très bonne réputation dans le milieu de la médecine et de la chirurgie, pour ses compétences professionnelles, mais aussi pour ses qualités humaines, sa disponibilité, sa bonhomie et sa générosité de cœur.
Mais rapidement, il va orienter ses efforts et ses centres d’intérêt vers le retour à la terre via deux produits rares et prisés : le safran et la truffe. Pour le safran, il va mener des expériences d’implantation des bulbes de safran de Taliouine dans deux sites distant l’un de l’autre de près de mille kilomètres, l’un à Marrakech, à  Tnine Ourika plus exactement, et le deuxième sur les terres de ses ancêtres, à Tifzouine. Les deux expériences vont être concluantes, même si c’est à Tnine Ourika qu’il va réaliser l’essentiel de ses investissements en mettant en place une safranière de premier ordre et un musée du safran, «Les jardins du safran » qui sont devenus, depuis quelques années, une étape de plus en plus prisée du parcours des visiteurs, nationaux et étrangers de la région. Projet d’abord à caractère social employant des dizaines de femmes et d’hommes de la localité avoisinante, il se distingue essentiellement par sa vocation de recherche sur l’amélioration du produit qui a abouti à la production de l’un de safrans les plus purs et les plus parfumés du monde.
Mais le vrai tour de force est celui de la réussite de l’implantation de la truffe noire à Tifzouine. Certes, dans ces contrées semi-arides du Maroc oriental, on connaît une certaine variété de truffes «vulgaires», appelées Terfass, aux modestes valeurs nutritives et culinaires, selon les puristes, mais elles connaissent un certain engouement parmi les familles marocaines et particulièrement judéo-marocaines qui l’associent à des repas liturgiques, durant les fêtes de Pacques juive notamment. Le produit est également prisé chez une certaine clientèle des pays du Golfe ; ce qui anime un petit  marché à l’exportation malgré le caractère très aléatoire de la cueillette, selon un certain nombre de variants, dont notamment la pluviométrie. Mais, chez les connaisseurs, cette variété de champignons hypogés (croissant sous terre), que les anciens colons désignaient par le nom disgracieux de rabasse (avec quelque chose d’arabe dans l’intonation), n’a absolument rien à voir avec la vraie truffe, et encore moins avec la mélanosporum. Celle-ci se distingue, en effet, par sa couleur noire, la texture de sa chair, ses valeurs gustatives et culinaires, sa saveur et surtout son arôme distinctif qui en a fait tourner bien des têtes.
Pour se rendre compte de la valeur de ce produit extrêmement recherché, il suffit de voir tout l’engouement qu’il suscite, en France notamment, où la truffe donne lieu à de véritables bourses et circuits d’échanges occultes et où le prix du kilogramme, lorsque le produit est haut de gamme, frôle les mille euros.
Mais à Tifzouine, on ne parle pas encore commercialisation. Il s’agit d’abord de savourer pleinement la réussite scientifique.
En décembre dernier, début de la saison des truffes qui se prolonge en gros jusqu’à fin février, Abdelaziz Laqbaqbi, alerté et aidé par le personnel autochtone et Asmoune, le chien truffier stagiaire, avait mis à jour quatre truffes noires. Fruit de huit ans d’attente et de soins. Les spécimens ont été envoyés en France et soumis aux spécialistes qui suivaient ce projet depuis ses débuts à la fin  des années quatre-vingt dix. Le verdict est tombé : aucun doute, il s’agit bien de la mélanosporum ! Mais, pour en avoir le cœur net, on a organisé ces assises de confirmation.
«Alf, Alf, cherche Alf, par ici Alf, non Alf, reviens ici, cherche Alf…». Dans un froid glacial de ce samedi brumeux sur les hauteurs des hauts plateaux, le chien noir venu de loin, sous les ordres de Madame Pedesco, officie. Asmoune est tenu à l’écart. Place aux professionnels ! La troupe des présents ne respire plus que parcimonieusement. Et puis, le miracle a lieu, là sous les yeux émerveillés de l’assistance.
Alf pointe de sa truffe humide un endroit au pied du jeune chêne tuteur implanté il y a huit ans. Paulette l’éloigne, Pierre Sourzat se précipite, prend une poignée de terre et l’hume longuement. «Elle est là, c’est sûr», dit-il. Il donne ses indications au préposé au creusement. Trente interminables centimètres en profondeur et la belle fut exhumée. Oh, pas grand-chose ! Quelques dizaines de grammes seulement, mais ils valent plus que leur pesant d’or, au regard de la prouesse scientifique et du bonheur de dire que le miracle a bien eu lieu. Deux autres trouvailles vont clore cette journée particulière. Et maintenant, quelles sont les premières leçons à tirer ? D’abord cette terre généreuse qu’est la terre marocaine. Elle n’a pas encore fini d’exhiber toutes les richesses de ses entrailles. Ensuite, il existe des femmes et des hommes comme Laqbaqbi qui y croient dur comme fer et qui agissent en conséquence. Oui, il pense que la trufficulture a un avenir au Maroc. Oui il  a accumulé du savoir, un savoir-faire précieux qu’il est prêt à investir au Maroc et à faire partager.
L’objectif sera de mettre en place un musée de la truffe pour raconter toute cette épopée, susciter les vocations et diffuser le savoir scientifique. Il s’agit également de créer les conditions adéquates pour développer au Maroc les pépinières de mycorisation des plants de chênes tuteurs de la truffe, en veillant à la reconnaissance et à la rétribution équitable de l’effort déployé par l’auteur de cette première, le pionnier de cette aventure.
Enfin, il convient d’explorer et d’optimiser les futurs débouchés pour la truffe noire du Maroc, qui aura peut-être pour label «Truffe de Tifzouine», appelée à figurer en bonne place sur les cartes des restaurants les plus prestigieux de par le monde. Il n’est absolument pas interdit de rêver !  

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