Ses personnages, il ne part pas les chercher dans des contrées lointaines. Ses héros, il les côtoie quotidiennement et il les connaît comme sa poche, tellement il les a épiés. Youssouf Amine Elalamy espionne, mais pour son propre compte. Dans « Miniatures », son dernier livre paru chez les éditions «Hors Champs», ce jeune écrivain relate des fragments de vie de 50 personnages. «L’idée des «Miniatures» m’est venue en observant les gens depuis mon espace de travail.
Le soir, les lumières allumées, je pouvais les voir évoluer chez eux. Je trouvais intéressant que des gens qui habitent sous le même toit puissent chacun évoluer dans sa propre bulle, sa propre case, sans savoir ce qui se passe de l’autre côté du mur», dit-il avec un brin de regret de ne pas pouvoir traverser les murs. Mais Youssouf Amine Elalamy n’est pas de ceux qui baissent les bras et reculent face aux obstacles. Il défonce les portes. Ses «Miniatures» ne pouvaient rester cloîtrées dans un livre avec 50 textes et 50 images. Exposées, à la Villa des Arts, du 8 février jusqu’au 13 mars, elles s’exposent et s’exhibent au grand public. En boîtes, ses personnages sont enfermés et isolés l’un de l’autre.
Chacun vit sa vie, à sa manière et à son rythme. Le choix de ces formes strictes, taillées au millimètre près, n’est nullement fortuit : «Les fenêtres des immeubles que je contemplais m’imposaient un cadrage serré, ce qui explique en partie la forme brève, concise et fragmentée de ces miniatures». L’autre partie de l’explication est à chercher ailleurs. Plus qu’un écrivain, Youssouf Amine Elalamy, et à travers ses «Miniatures», a tenu à prouver qu’il est bel et bien un fin connaisseur de la psychologie humaine : «Les boîtes représentent le souci que nous avons de sans cesse cataloguer, répertorier et mettre une étiquette sur les individus pour mieux les apprivoiser». Et pour donner libre-court à son imagination et faire fi des contraintes de l’espace, il a placé haut la barre de ses mesures. Très haut même. Une fresque géante de 7 mètres sur 3,5 est réalisée in-situ, à la Villa des Arts, avec l’assistance technique et artistique de deux plasticiens, Driss Aguilal et Abdelaziz Nadi. «Dans la fresque, j’ai choisi de libérer mes personnages, de les sortir de leurs cages et de faire en sorte qu’ils cohabitent et partagent un même espace, qui est celui de la toile», explique-t-il. La fresque est le fruit d’un long travail de patchwork, de collages et d’assemblages d’objets aussi divers que banals, tels que la laine, des morceaux déchirés de Jean, des jouets, des photos, des pinces…
En réalité, dans cette oeuvre, Youssouf Amine Elalamy montre et démontre que cette cohabitation qu’il a imposée à ses personnages ne peut s’effectuer sans une certaine perte identitaire ; le géantisme de la fresque éclipse la petitesse de ses créations. Des créations qu’il revendique comme les siennes. Ces 50 personnages lui appartiennent. Youssouf Amine Elalamy a fait de cette exposition un alibi pour relancer le débat sur l’épineuse question de la propriété artistique. Des interrogations, il en a à la pelle : « Qui est l’auteur d’une oeuvre ? Est-ce le photographe qui a pris l’image initiale que j’ai découpée dans un magazine, transformée puis collée ? Est-ce la petite fille qui a cédé la tête de sa poupée ? Est-ce l’artisan qui a fabriqué l’objet dont je me suis servi pour encadrer l’un des personnages ou est-ce tout simplement la personne dont le nom figure sur la couverture du livre ? ». Celui qui s’est imposé, délibérément, de rédiger la seconde moitié de son livre en images s’obstine à établir un solide lien entre « l’écriture avec l’image et l’appropriation». En s’éloignant des sentiers battus avec une démarche créative éliminant les mots, il affirme que son travail d’assemblages et de mariages entre des éléments disparates, lui donne tous les droits sur ses créations.
Pour finir, Youssouf Amine Elalamy (YAE pour les intimes) sort le plus massue de ses arguments : «dans ce livre, je revendique le droit de récupérer les objets et les images qui m’entourent au même titre que j’utilise les mots du dictionnaire». Edifiant.