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Abdelghani Youmni : La stratégie nationale de vaccination devrait favoriser la reprise économique

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Entretien avec Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM)

Après 3 semaines du démarrage de la campagne de vaccination anti-Covid-19, l’impact psychologique est fortement attendu sur la reprise économique. Retour sur les faits marquants d’une rupture économique mondiale sur fond de renégociation des cartes. Le Maroc compte bien en rafler quelques-unes à travers son positionnement géostratégique.

ALM : Peut-on évaluer en amont les dimensions de la politique de vaccination et en aval les retombées sur le plan géostratégique ?

Abdelghani Youmni : Le Maroc a développé durant les deux dernières décennies une diplomatie de soft power qui vise à renforcer son influence politique, économique mais aussi diplomatique et religieuse sur le continent africain et sur son voisinage est et sud méditerranéen et européen. Cette politique s’inscrit dans une vision géostratégique, basée sur des deals gagnant-gagnant. Quant à la politique publique de vaccination, le Maroc a décidé de faire des vaccins des biens communs gratuits et disponibles pour toutes les franges de sa population y compris les résidents étrangers. Le Royaume possède, désormais, l’un des programmes de vaccination les plus avancés d’Afrique, l’opération massive de vaccination répartie sur 2.888 centres a permis, en trois semaines, de vacciner plus d’un million de personnes, c’est une prouesse à l’échelle mondiale et les autorités sanitaires tout en restant prudentes sur les contraintes logistiques ont promis d’atteindre une immunité totale, à l’horizon de juillet de 2021, avec une vaccination d’au moins 80% de la population.

La vaccination exercera un effet de levier sur la croissance économique. Pouvez-vous nous dessiner les contours et préciser s’il s’agirait d’une relance, d’une reprise ou d’un mix ?

Je dirais, plutôt, reprise économique ; l’économie marocaine étant connue par sa résilience. Les dernières pluies ont donné confiance aux consommateurs et à l’activité économique, la vaccination aura, en plus de l’effet d’immunisation, un effet psychologique et de retour à la vie d’avant. La nature duale de notre économie fera, paradoxalement, que l’économie informelle exercera en premier un effet de levier sur la croissance de type primaire et tertiaire pour que l’économie formelle prenne le relais et conduise à une reprise économique plus franche et un retour à la création d’emplois. D’ailleurs, les prévisions du Haut-commissariat au Plan et du FMI convergent. Tous deux tablent sur une croissance qui rebondirait de -7,2% en 2020 à + 4,6% en 2021. Cette reprise devient plausible dans le scénario actuel de l’accélération des vaccinations, des levées des restrictions sur la mobilité et l’exercice de certaines activités et du recul des effets de la sécheresse.

S’agissant de quand et comment s’opérera la relance économique, il faut dire que l’économie marocaine est ancrée à la conjoncture économique internationale, donc toute relance dépendra de la réussite de la vaccination et de l’endiguement de la pandémie dans les pays qui sont traditionnellement nos partenaires que ce soit ceux d’Europe ou ceux des pays de la CEDEAO. Puis, la fin espérée de la pandémie devrait amener à de nouvelles délocalisations et relocalisations de chaînes de valeur globales au départ de l’Asie pour des raisons géopolitiques mais aussi écologiques. Et, il n’est pas trop tôt pour dire que le Maroc à travers son leadership régional, la jeunesse de sa population et la montée en compétences de ses nouveaux métiers pourrait devenir un territoire de choix pour les industries automobiles, aéronautiques, énergies renouvelables et pharmaceutiques.

Plusieurs médias ont souligné une baisse de la bancarisation au Maroc, selon vous, serait-ce un phénomène lié à la crise sanitaire ou un effet moutonnier provoqué par la peur des épargnants et des ménages ?

Je vais commencer par une information beaucoup plus significative, à savoir c’est celle de la baisse des guichets bancaires à fin juin 2020 qui sont passés de 6.406 à 6.367, soit une fermeture de 40 agences. La tendance devrait s’accélérer les prochaines années. Il faut dire que ce phénomène n’est en aucun cas corrélé à la crise de Covid-19 mais résulte de la digitalisation et du développement numérique des services bancaires. Par ailleurs, la baisse du taux de bancarisation de 79% à 78% à fin juin 2020 ne devrait pas être préoccupante. L’analyse de l’évolution des agrégats monétaires publiés par Bank Al-Maghrib (BAM) montre, en effet, que l’agrégat relatif aux liquidités bancaires (pièces, billets, comptes courants, comptes sur livret, valeurs mobilières OPCVM et SICAV) s’est établi à 1.441,4 milliards de dirhams (MMDH) en juillet 2020, soit une augmentation de 7,6% par rapport à la même période de l’année écoulée. Cette évolution reflète une nette propension à l’épargne et un accroissement de la monnaie fiduciaire détenue par les ménages, tout cela résultant du confinement qui a duré plus de quatre mois. Prise globalement, la baisse légère et peu significative de la bancarisation pourrait résulter de la décision d’un segment de la population qui, frappée par la disparition de revenus, a décidé de fermer son compte bancaire pour ne pas supporter des coûts de gestion du compte courant et des agios. On s’aperçoit aussi que l’indice de Frey qui évalue l’inclusion financière en fonction du nombre d’habitants par guichet bancaire est désormais caduc car nous rentrons, progressivement, dans une ère de Fintech, d’ubérisation des banques et de mobile money.

Selon une étude que vous avez publiée au mois d’août 2020, le dirham fait partie des trois monnaies qui ont le mieux résisté à la crise sanitaire et qui appartiennent aux sept pays africains les plus riches…

Le coup d’arrêt brutal de l’économie mondiale a provoqué la chute des prix des matières premières exportées par le continent africain : les cours du coton et du cuivre ont connu une baisse de 20%, le pétrole de 40%, le café de 15%. Cette nouvelle donne a poussé les banques centrales à puiser dans les réserves de devises, d’une part, pour importer les besoins alimentaires, les équipements sanitaires et les médicaments et d’autre part, à défendre les monnaies locales et maintenir leur stabilité pour éviter des dépréciations en cascade. Excepté le dirham marocain et la livre égyptienne, toutes les autres monnaies des sept pays les plus riches du continent ont plongé à leur niveau historique le plus bas. Les monnaies les plus impactées ont été le rand sud-africain et le kwanza angolais, le dinar algérien et le naira nigérian qui ont atteint les plus bas planchers face au dollar avec des baisses variant de 24 à 36%. Si le dirham est resté robuste et l’inflation maîtrisée, cela s’explique par la politique monétaire accommodante, la gestion budgétaire prudentielle, le Fond Covid-19 surtout et les mesures d’anticipation de Bank Al-Maghrib.

Que faut-il faire pour résorber le chômage des jeunes, premières victimes collatérales de la pandémie ?

Si le taux de chômage au niveau national a culminé de 9,5% à 12,8%, il faut savoir que la pandémie a infligé de nombreux chocs à de nombreux secteurs d’activité frappant surtout notre jeunesse. Il est donc essentiel d’encourager l’emploi des jeunes en usant de dispositifs d’exonérations ou de baisse de charges sociales au profit d’entreprises dont la création de la valeur ajoutée repose, principalement, sur le facteur travail. L’esprit dans ce cas est d’aller vers des contrats de travail par classes d’âge, pour les jeunes de 20 à 30 ans. On pourrait rendre plus flexible le contrat de travail, réduire les charges sociales patronales et salariales et envisager une exonération d’impôt sur les revenus, les salaires inférieurs ou égaux à 2 fois le SMIG. Encourager l’emploi sur contrats d’alternances rémunératrices pour les jeunes et les financer par des packs portés par les entreprises et les régions seraient une solution. Cela permettra de pérenniser la position du Royaume du Maroc et lui conférer ce statut de leadership et de nation émergente que plusieurs pays du monde lui reconnaissent désormais.

Par rapport à l’entreprise, comment devrait être la posture du manager face à ces nouveaux paradigmes?

Nous allons vivre dans un futur proche un réel changement de modèle dans l’entrepreneuriat. Il redeviendra microéconomique, orienté réduction des coûts, de transactions et d’information, compétitivité par l’innovation et l’inclusion de composantes écologiques et sociales dans la valeur ajoutée. Ensuite, la production sera moins impactée par le facteur travail mais plutôt basée sur le digital et l’agilité des sous-traitants intervenant sur des projets collaboratifs. Le manager, face à tous ces nouveaux paradigmes et ceux à venir, exigera de ces salariés l’autonomie couplée de solidarité, de la compétence individuelle imbriquée au sein des compétences collectives, de l’imagination et de la fluidité, d’admettre la fin du contrat de travail classique et son remplacement par la rémunération par mission.

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