Entretien avec Adnane Addioui, président du Centre marocain pour l’innovation sociale
Très attendue, la loi sur le crowdfunding (financement par la foule) devrait permettre aux porteurs d’idées novatrices en manque de liquidités de trouver du financement, et ce quelle que soit la taille de leur projet. S’il est adopté, ce mécanisme serait une porte de secours pour les petites entreprises en cette période de crise. Sur cette question et bien d’autres ALM s’est entretenu avec Adil Addoui, président du Centre marocain pour l’innovation sociale et fondateur de la plateforme Wuluj.
ALM : Où en est la mise en place du crowdfunding au Maroc ?
Adnane Addioui : Le texte de loi est toujours dans le circuit législatif. Il nécessite des mesures d’accompagnement pour sa mise en application, sans cela il serait inefficace.
Que pourrait permettre ce mécanisme dans ce contexte de crise et comment justement accompagner sa mise en œuvre ?
Dans ce contexte de crise, ce mécanisme permet de focaliser le financement sur des secteurs spécifiques qui répondent à des problématiques conjoncturelles telles que la santé, l’éducation et la digitalisation. Mais il ne s’arrête pas au financement des startups, le crowdfunding s’élargit au financement des actions humanitaires en permettant d’aider des familles en situation de vulnérabilité.
Pour prendre l’exemple de Wuluj, qui est une plateforme de prévente destinée initialement aux entrepreneurs et artisans innovants en quête de nouveaux marchés en ligne, nous avons mis en place deux types de campagnes, l’une pour accompagner les startups qui souhaitent développer leur marché et l’autre pour soutenir des initiatives d’entraide humanitaire dans le contexte de la pandémie.
Sur 36 campagnes menées, avec plus de 460.000 MAD de fonds collectés sous forme de dons, nous avons accompagné une quinzaine d’associations pour leurs actions humanitaires. A constater la forte mobilisation des Marocains pendant cette période, nous avons décidé l’ouverture gratuite et permanente de la plateforme aux associations humanitaires, ce qui fait de Wuluj.com une plateforme de crowdfunding inclusive.
Pour accompagner sa mise en œuvre il faut d’abord une loi qui devrait promouvoir ces outils en supprimant la TVA et l’IS sur les plateformes, et aussi encourager les citoyens à donner.
Quels sont les principaux blocages de financements des startups opérant dans le secteur du digital au Maroc ?
Je parlerais plus des solutions à mettre en place au lieu de mettre en avant les blocages. Il y a encore de gros efforts à faire afin d’introduire et d’installer le concept du crowdfunding au Maroc. Les mentalités doivent changer en faveur de ce mode de financement. La communication à travers les différents canaux médias (TV, radio, réseau sociaux) est primordiale pour sensibiliser à travers des «success stories» et vulgariser ce concept auprès du grand public. Chaque individu peut à son niveau et selon ses moyens, s’il le souhaite, contribuer à la réalisation et la concrétisation des projets qui peuvent impacter son entourage direct, sa commune, sa ville, sa région ou son pays sur le plan social, économique et environnemental. Au niveau légal, il faut avoir un statut hybride ; revoir la TVA et l’IS est primordial.
La culture du «business angel» est inexistante, l’amorçage et la levée de fonds privés sont très faibles, des pays comme la Tunisie sont arrivés à dépasser toutes ces barrières en moins de 5 ans, à travers notamment le «Startup Act», une réglementation incitative et une promotion de l’entrepreneuriat de manière positive auprès des citoyens et de la diaspora.
Quelles sont les alternatives de financements innovants à mettre en place au Maroc et qui pourraient réellement contribuer à la relance de l’économie numérique du pays ?
Le crowdfunding est une solution innovante de financement des startups. Avec la crise sanitaire, il est devenu une solution de financement «solidaire» pour aider les petites entreprises en difficulté. C’est dans ce sens qu’au sein du Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE), nous avons dédié notre plateforme de crowdfunding Wuluj à la collecte de dons et de contributions en faveur d’associations humanitaires et de startups à fort impact social pour d’un côté aider les familles vulnérables et de l’autre pour soutenir les petites entreprises à maintenir leurs activités.
Pour une relance économique, notre économie doit transformer son mode de production, de vente et de financement. La transformation digitale au sein des entreprises n’est plus un luxe mais une nécessité qui s’impose de plus en plus. Les chiffres du ministère de l’industrie, du commerce, l’économie verte et numérique montrent que durant la période de 2010 à 2016, le parc d’abonnés internet a été multiplié par 10 en l’espace de 6 ans et le nombre d’utilisateurs de la téléphonie mobile s’est multiplié par 2 durant la même période. Il est aussi intéressant de voir l’évolution des noms de domaines «.ma» qui a aussi doublé dans la même période comptant plus de 63.589 noms de domaines marocains. Ceci est pour montrer la prédisposition de notre pays à cette nouvelle ère économique – les moyens de paiement évoluent, les offres de financements doivent également évoluer pour répondre à des besoins encore plus spécifiques qui peuvent aller vers des offres plus personnalisées.
Comment selon vous faire du digital un outil de relance économique dans la période post-Covid ?
Le digital est aujourd’hui un «must have». Il est une partie intégrante de notre vie quotidienne, de plus en plus de nos actes d’achat se font en ligne, les vitrines d’aujourd’hui sont digitales et nos décisions d’achat se font sur la base de recherches sur la Toile (avis, ranking, tutoriels…). Ceci s’est accentué avec l’avènement de la pandémie qui nous a poussés tous à adopter ce nouveau comportement qui n’était qu’occasionnel pour la plupart.