ALM : Quelle est selon vous la portée du rapprochement annoncé entre la BCM et Wafabank ?
Rachid Belkahia : Le projet «industriel» de rapprochement entre la BCM et la Wafabank est de première importance pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le nouvel ensemble constitué par la BCM et la Wafabank permettra d’atteindre une taille critique pour mieux faire face à la concurrence et dégager des synergies importantes du fait du positionnement actuel de la BCM et de la Wafabank respectivement dans des activités « corporate » et de « banque de détail ». Ensuite, ce projet devrait en toute rigueur être créateur de valeurs pour l’actionnariat, mais également pour les autres parties prenantes dans la mesure où ce nouvel acteur dans le système financier disposera de tous les atouts nécessaires pour afficher de fortes ambitions nationales, mais régionales également. De plus, au-delà des effets induits au niveau de la BCM et de Wafabank, cette opération qui concerne le rachat de la holding familiale du groupe Kettani impactera également le portefeuille d’activités du groupe ONA qui est l’actionnaire de référence de la BCM. Elle devrait induire normalement de nouvelles opérations pour le renforcement de sa position dans certaines activités, pour son entrée éventuelle dans de nouvelles filières ou encore pour céder par appartement des activités jugées non stratégiques.
Cette approche de regroupement des Banques est-elle due à des facteurs économiques internes ou externes ?
Le phénomène de concentration n’est pas nouveau et fait partie depuis longtemps du paysage international. Dans un environnement globalisé, il est en effet important de disposer de groupes industriels puissants et surtout d’un système financier solide et performant pour accompagner les besoins de financement des entreprises et de l’économie. L’enjeu économique national est de première importance et cette opération s’inscrit tout à fait dans cette perspective. Au plan international, deux faits importants méritent d’être soulignés. D’une part, les Banques agissent de plus en plus dans un cadre normalisé avec des exigences accrues en matière de gestion des risques et il est donc essentiel pour nos institutions bancaires de s’aligner sur les standards internationaux. D’autre part, on assiste de plus en plus de la part des investisseurs internationaux et des bailleurs de fonds à une harmonisation et à une homogénéisation des règles de décision d’investissement et/ou d’octroi de crédit sur la base de critères de performance, mais également de transparence et de bonne gouvernance. La présence dans notre pays de groupes puissants et stables, respectueux des meilleures pratiques de management et de gouvernance peut être génératrice de valeur ajoutée pour nos entreprises, notre économie et notre société. Signalons au passage que, dans les économies intermédiées comme le Maroc, le système bancaire peut et doit jouer un rôle central dans la promotion des bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise au sein du tissu des PME-PMI en particulier et tirer toute l’économie vers le haut.
Pensez-vous que les autres opérations vont suivre ?
En toute logique, d’autres regroupements devraient s’opérer au plan national pour permettre aux acteurs de taille modeste de « jouer dans la cour des grands » et on devrait donc assister à une accélération des mutations industrielles dans notre pays.
Quels sont les avantages et inconvénients qu’une telle opération peut apporter?
Notre pays, qui est encore largement sous-bancarisé, recèle d’importantes potentialités et, c’est pourquoi, les opérations de regroupement sont en principe plus porteuses d’avantages que d’inconvénients en termes de synergie, de maîtrise des coûts, de qualité de produits et/ou de services offerts au client, …. Mais, les regroupements ne sont pas exempts de risques. Le premier risque qui est social est lié à la réduction d’effectifs découlant de cette opération. Dans le cas d’espèce, le risque est minime car la BCM et la Wafabank ne sont pas réputées être en sureffectif et une bonne gestion du redéploiement du personnel devrait permettre de sécuriser les partenaires sociaux. Le second risque, qui me paraît beaucoup plus important, est lié à la confrontation de « cultures d’entreprise » différentes. Mais, il s’agit également d’un risque qui peut être correctement géré en mobilisant l’ensemble des énergies autour d’un grand projet commun fédérateur.
Pourquoi l’autorité de tutelle tient-elle à protéger le secteur bancaire en opposant son veto sur la participation d’étrangers?
Je ne souscris pas du tout à l’idée que les autorités opposent un veto systématique à la participation d’étrangers dans le système bancaire au Maroc dans la mesure où la présence d’investisseurs étrangers à la fois dans le capital et le management de banques importantes de la place est significative. Dans toute alliance avec l’international, il est important de s’adosser à des partenaires de choix et de renommée internationale, d’une part, et de s’assurer que l’opération est réellement porteuse de valeur ajoutée pour toutes les parties prenantes, d’autre part. N’oublions pas que la crise asiatique a démontré les conséquences désastreuses pour les économies d’un système bancaire fragile et, c’est pourquoi, les autorités doivent redoubler de vigilance pour créer les conditions du développement d’un secteur financier puissant et stable susceptible de jouer le rôle de bras armé pour le développement économique et social de notre pays.
Le cas Wafabank laisse entendre que l’institutionnalisation des groupes familiaux est bien en marche. Qu’en pensez-vous ?
Dans le cas d’espèce, il s’agit de la cession pure et simple d’une holding familiale et non pas d’institutionnalisation du capital qui peut revêtir des formes diverses (introduction en Bourse, introduction au capital de sociétés de capital-risque…). Il est clair que l’environnement bancaire international a subi d’énormes mutations avec des exigences accrues en termes capitalistiques, de recours aux NTIC, de respect de dispositions prudentielles, … et, dans le cas d’espèce, une faible taille peut constituer un obstacle pour saisir les opportunités de croissance. Maintenant, beaucoup de grands groupes de classe mondiale sont familiaux ; le caractère familial ne saurait donc constituer un facteur rédhibitoire pour relever le challenge de la mondialisation quand on a la capacité à mettre en oeuvre efficacement les transformations à la fois organisationnelles et culturelles au sein de son entreprise.