La bataille commerciale entre exportateurs français et américains fait rage sur le marché mondial du blé pour s’accaparer la part de gâteau abandonnée par la Russie, contrainte de se retirer après la canicule de l’été qui a dévasté ses récoltes. Troisième exportateur mondial, la Russie a vendu plus de 18 millions de tonnes (Mt) de blé en 2009, assurant ainsi 14% des échanges mondiaux. Une part de marché qu’Américains et Français se disputent activement aujourd’hui, avant l’arrivée des concurrents canadien et australien, aux récoltes plus tardives et chacun croit en ses chances. Les Etats-Unis, premier exportateur mondial, espèrent vendre 34 Mt de blé cette année sur la scène internationale contre 24 Mt l’an dernier et la France, premier producteur et exportateur de l’Union européenne, «au moins» 11 Mt contre 9,6 Mt, un record historique. Car la demande est insatiable. Le retrait de la Russie, début août, a semé la panique chez les acheteurs qui multiplient les appels d’offres tous azimuts afin de sécuriser leurs approvisionnements. A l’image de l’Egypte, premier importateur mondial (7 Mt par an) laquelle passe une, voire deux, commandes chaque semaine contre un seul achat mensuel en année normale. Or actuellement, seuls les Américains et les Français sont capables de ravitailler le marché mondial et croulent sous la demande. Aux Etats-Unis, les ventes dépassent le million de tonnes depuis cinq semaines consécutives alors que 720.000 tonnes leur suffiraient pour atteindre l’objectif final. En Europe, la France monopolise plus de la moitié des 4,3 Mt de certificats d’exportation accordés par Bruxelles depuis le 1er juillet et le début de la campagne commerciale. Dans le bras de fer qui l’oppose aux Américains, la France semble posséder de sérieux atouts, notamment la faiblesse de l’euro qui la rend plus compétitive sur la scène internationale et un coût de fret plus faible pour acheminer la marchandise vers les ports du Moyen-Orient et du Maghreb, là où les besoins sont les plus criants cette année. En outre, au plan européen, la France est débarrassée de la concurrence des blés allemands, réputés pour leur haute qualité, mais qui ont souffert d’une humidité excessive et partiront, pour une bonne moitié, vers l’alimentation animale. «Notre objectif initial d’exportation de 11 Mt pourrait être revu à la hausse dans les semaines à venir», a reconnu Rémi Haquin, le président du conseil des céréales à l’office public FranceAgriMer. «Nous pourrions déjà en placer 7 à 8 Mt d’ici à la fin décembre, notamment sur l’Egypte». Depuis l’embargo russe, la France a en effet pris la tête des ventes de blé à l’Egypte avec plus d’un million de tonnes de contrats. Stimulé par cet afflux de commandes, le prix du blé s’est envolé ces dernières semaines sur les ports français. Lundi sur les quais du port de Rouen (ouest), la tonne de blé se négociait autour des 230 euros contre à peine 130 euros à la mi-juin avant la moisson, soit une hausse de près de 80%. Si l’actuelle augmentation des cours des céréales fait le bonheur des céréaliers français, elle inquiète les éleveurs obligés de faire face à une hausse de leurs coûts d’approvisionnement. Conscients de «l’impact destructeur» des fortes variations des cours, les producteurs de blé français se sont dits favorables à des discussions pour réguler le prix des céréales destinées à l’alimentation animale.
Jean-Luc Boubals ( AFP)