Economie

Contre le monopole de la commande

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Aujourd’hui Le Maroc : Pensez-vous que l’accès aux marchés est équitable pour l’ensemble des architectes de la place ?
Sophia Bensabih El Amrany : Franchement, l’accès égal à la commande reste une chose difficile, surtout en matière de projets publics. La commande publique gagne assurément être mieux et équitablement répartie, or dans la pratique actuelle, ce sont souvent les mêmes architectes qui réalisent les projets auprès des ministères, des organismes publics ou autres administrations. Souvent, les offres de services des jeunes architectes déposées auprès de l’administration restent lettres mortes. Au niveau du syndicat, nous avons réfléchi à une série de mesures permettant de mettre fin aux pratiques de copinage ainsi qu’au monopole de la commande par une petite poignée de cabinets.
Comment comptez-vous dépasser ce genre de constats ?
À titre exemple, l’administration pourrait définir un nombre de projets ou un chiffre d’affaires à attribuer par architecte inscrit à l’Ordre sur l’ensemble du Royaume, ce qui ouvrirait l’accès à la commande à toutes les consoeurs et confrères et aussi favoriserait la proximité des architectes à leurs chantiers (on voit souvent des projets situés à Figuig ou Laâyoune confiés à des architectes de Rabat et Casablanca alors qu’il est plus judicieux de faire participer des architectes locaux à l’essor et la production architecturale de leurs régions).
Les projets au-delà d’un certain montant devraient faire l’objet d’un concours associant un groupement constitué d’architectes expérimentés associés à de jeunes débutants porteurs d’idées nouvelles. Le jury doit être composé de personnes sérieuses et compétentes dont le verdict devra être respecté.
Ce système permettrait le croisement des expériences et rendrait une certaine crédibilité aux concours, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Ainsi, les chances seront plus égales face à la commande publique. Si le problème est régle à ce niveau, on résoudra en grande partie le phénomène galopant des architectes au chômage technique et de ceux, tout en mettant la clef sous la porte, qui sont dans l’incapacité de faire face aux charges et aux salaires de leur personnel. La situation est plus catastrophique qu’on a tendance à le croire.
Est-ce que cette iniquité prévaut face à la commande privée aussi?
Oui, mais il est plus difficile de régler la commande privée. Dans ce cas de figure, on retrouve deux approches différentes :
Certains promoteurs immobiliers (heureusement pas tous), qui recherchent un produit commercial destiné à la vente et pour qui un architecte sérieux qui veillera au respect des règles de l’art en matière de construction est plus une entrave à leur commerce qu’une aide précieuse. Ceux-ci s’attacheront les services d’un signataire peu regardant sur le respect des normes, juste parce que la loi leur impose un. Dans ce cas de figure, l’architecte devient plus un salarié qu’un électron libre. D’ailleurs, ce type de clients utilisent souvent les circuits mafieux des administrations pour trouver le professionnel le plus malléable possible.
La deuxième catégorie, constituée en général de maîtres d’ouvrage réalisant leur propre espace de vie ou de travail, portent plus d’intérêt aux compétences techniques et au talent de l’architecte et sont conscients de son rôle primordial dans la réussite et la viabilité du projet. Ils font confiance au bouche-à-oreille et certains liens deviennent durables. Bien sûr, les architectes qui n’ont pas accès à un réseau de connaissances mondain se retrouvent d’ors et déjà exclus.
La mise en place d’un cadre juridique pour l’intégration des débutants dans le circuit est-elle appropriée ?
C’est déjà le cas. Un cadre juridique a été adopté. Mais, même si la loi est passée, elle n’est pas toujours pas appliquée. L’esprit derrière est d’offrir une structure-encadrement à chaque nouveau venu et elle consiste en la mise en place d’un stage obligatoire au sein d’un cabinet sérieux, formation qui devait permettre au jeune architecte une meilleure approche sur le terrain. Un maître de stage, pour une période de deux ans, assureraient accompagnement nécessaire et compléterait les connaissances du jeune architecte, en lui évitant de tomber dans les travers cités plus hauts, la merci de personnes peu recommandables. Personnellement, je n’aurais pas pu mieux progresser sans ce genre d’accompagnement.
Justement, partant de votre expérience, quel enseignement tirez-vous ?
Il faudrait que l’ensemble de la population prenne conscience que la production architecturale est une affaire de toute la nation. C’est une affaire publique au sujet de laquelle chacun a son mot à dire. D’ailleurs, dans la plupart des pays, la notion d’urbanisme concerté a pris le pas sur toute autre forme de dirigisme.
La production architecturale d’aujourd’hui sera encore dans plusieurs décades et c’est à nous de choisir si nous voulons qu’elle enchante ou qu’elle agresse nos yeux et ceux des générations futures dans les années à venir.
Alors que la situation de la profession est des plus alarmantes, il est temps de regarder les architectes comme les garants d’une certaine qualité de vie et les défenseurs de notre patrimoine et non comme de vulgaires marchants de papier, image véhiculée par une minorité de brebies galeuses.
L’Ordre national des architectes doit imposer son autorité pour mettre fin à certaines pratiques et assurer un meilleur accompagnement des jeunes architectes. Le ministère de tutelle doit s’atteler à la tâche d’une meilleure répartition de la commande, en étant assuré de la collaboration de toutes les instances ordinales régionales ainsi que du syndicat. Des réflexions ont déjà été menées dans ce sens par ces instances, mais les mesures proposées nous paraissent trop facilement détournables. Il faut mettre les coudées franches pour rendre la profession d’architecte sa légitime mission, dans un contexte sain et serein.

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