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Cybersécurité et souveraineté numérique : Une priorité africaine en devenir

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En Afrique, ette tension est encore plus marquée : moins de 300.000 experts doivent sécuriser un des écosystèmes numériques les plus dynamiques de la planète. 

Menace croissante : En Afrique, continent parmi les plus ciblés, la numérisation rapide accroît considérablement la surface d’exposition. Or, avec une importante pénurie de talents, le continent se trouve particulièrement vulnérable..

À l’ère du digital, les opportunités d’innovation, de connectivité et de croissance économique sont sans précédent. Mais cette transformation s’accompagne d’une intensification des menaces cyber, mettant à l’épreuve la résilience des organisations, des gouvernements et des individus dans le monde entier.
Selon le Cybersecurity Workforce Report de 2024, réalisé par BCG en collaboration avec le Global Cybersecurity Forum (GCF), le monde fait face à une pénurie critique : 2,8 millions de postes dans le domaine de la cybersécurité restent vacants, bien que le secteur emploie déjà 7,1 millions de professionnels. En Afrique, cette tension est encore plus marquée : moins de 300.000 experts doivent sécuriser un des écosystèmes numériques les plus dynamiques de la planète. Il ne s’agit pas simplement d’un enjeu de ressources humaines, mais d’un impératif de sécurité nationale et de souveraineté économique.

L’ampleur du défi

Le coût global des cyberattaques dépasse aujourd’hui 2.200 milliards de dollars, dans un contexte où les cybercriminels exploitent de plus en plus l’intelligence artificielle pour automatiser les attaques, du phishing aux scans de vulnérabilité. Alors que le coût des cybermenaces a été multiplié par cinq en cinq ans, celui de l’exécution d’une attaque a, quant à lui, chuté, grâce à l’accessibilité des outils disponibles en ligne.
Aujourd’hui, près de 60% des responsables cybersécurité identifient l’IA comme l’un des principaux vecteurs de menace. Le capital humain doit évoluer aussi vite que les menaces, en développant des compétences profondes, flexibles et adaptées. Car au-delà de la technologie, 77% des cyberattaques sont causées par des erreurs humaines ou des lacunes de processus.
En Afrique, continent parmi les plus ciblés (avec un taux d’attaques supérieur de 60% à la moyenne mondiale), la numérisation rapide accroît considérablement la surface d’exposition. Or, avec une importante pénurie de talents, le continent se trouve particulièrement vulnérable. Le rapport note un déficit de 23% dans la main-d’œuvre cyber, soit 68.000 postes non pourvus, représentant un frein majeur à la résilience numérique.
Des incidents récents -touchant des institutions gouvernementales au Maroc, une compagnie aérienne en Afrique du Sud, ou encore la plateforme eCitizen au Kenya- illustrent la gravité croissante de la menace et la nécessité de s’y préparer.

Les racines du déficit de talents
Le fossé en matière de talents dans la cybersécurité en Afrique est alimenté par des contraintes systémiques et éducatives. Le manque de compétences opérationnelles constitue le frein principal. BCG montre que seulement 11% des diplômés du supérieur ont reçu une formation digitale formelle, alors que l’économie numérique africaine est appelée à atteindre 180 milliards de dollars d’ici 2025. Plus de 650 millions d’Africains auront besoin de formations numériques d’ici 2030, une réalité à la fois alarmante et porteuse d’opportunités. La sous-représentation des femmes, qui ne comptent que pour 13,5% des employés dans le domaine du cyber en Afrique (le taux le plus faible au monde), constitue un frein majeur à l’élargissement et à la diversification du vivier de talents.
Par ailleurs, l’offre de formation spécialisée demeure encore très limitée. Si des bootcamps privés et des initiatives d’alphabétisation numérique émergent, leur échelle reste insuffisante pour opérer une transformation de fond.

Stratégies pour réduire l’écart

Pour combler ce fossé, une approche systémique, audacieuse et concertée est nécessaire. BCG, dans son rapport Winning the Tech Race in Africa, montre que les entreprises africaines nativement digitales savent conjuguer agilité, approche user centric et développement proactif des compétences pour soutenir leur croissance. Ce même esprit doit désormais animer le domaine de la cybersécurité.
Le rapport 2024 propose cinq leviers clés:
• Recrutement basé sur les compétences: sortir du paradigme des diplômes au profit de l’aptitude réelle et du potentiel.
• Écosystèmes d’apprentissage continu : dans un environnement technologique mouvant, la formation continue est essentielle. Les partenariats entre gouvernements, entreprises et universités doivent être accélérés.
• Développement de talents inclusifs : des initiatives comme SheHacks Kenya démontrent que des plateformes dédiées peuvent contribuer à combler à la fois les écarts de genre et de compétences.
• Usage responsable de l’IA : si l’IA est une menace, elle peut aussi être un levier, en automatisant les tâches de routine et en recentrant l’humain sur les missions à forte valeur ajoutée.
• Coopération régionale : à l’instar du protocole de Malabo de l’Union africaine, les synergies régionales et l’harmonisation des politiques de cybersécurité sont vitales pour renforcer la résilience du continent.
Des pays comme le Maroc, l’Afrique du Sud ou le Kenya progressent via des programmes d’apprentissage, en lien étroit avec l’industrie et le soutien de l’État. La promotion des carrières cyber via des salons, des campagnes gouvernementales ou la valorisation de parcours inspirants est également cruciale.

Le rôle central du leadership

La résolution du déséquilibre en talents cyber passe par un leadership stratégique fort. Public et privé doivent s’unir autour d’une vision long terme, avec des plans nationaux de développement des compétences, des incitations ciblées et des investissements structurants.
L’exemple de l’Estonie, pionnière en matière de cybersécurité, montre la voie : écosystème technologique dynamique, éducation numérique dès le plus jeune âge, soutien étatique, coopération public-privé… Les résultats sont visibles en termes de sécurité nationale, d’innovation, et d’attractivité mondiale.

Une vision pour l’avenir

La pénurie de talents cyber n’est pas une fatalité. L’Afrique, à un tournant numérique de son histoire, peut transformer cette contrainte en avantage compétitif. Avec une gouvernance éclairée, une politique de formation inclusive et des partenariats solides, le continent peut bâtir une main-d’œuvre résiliente, prête à défendre son infrastructure numérique.
La menace est croissante. Mais le potentiel africain l’est tout autant. À nous maintenant d’agir, pour un avenir digital plus sûr, plus prospère et plus équitable – pour l’Afrique, et pour le monde.

 

Par Hamid Maher, Younès Zrikem, Hakim Hamane, Kevin Huard

Boston Consulting Group

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