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Diplomatie alimentaire, un vecteur immanquable, pour un monde sécurisé et durable

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Pour éviter toute mauvaise surprise dans les années à venir, une revue des politiques agricole, alimentaire et budgétaire, voire extérieure du Royaume s’impose, pour l’atteinte d’une pleine indépendance de l’étranger, à même de devenir un vivier nourricier de son continent.

Par Yassir Lahrach (*)

Dans le passé, l’on évoquait des crises alimentaires par-ci, par-là, mais en aucune manière il ne s’agissait d’une problématique mondiale d’une aussi grande ampleur.
Bien que l’alimentation ait toujours été une priorité dans la géopolitique mondiale, le XXIe siècle lui accorde une place de plus en plus prépondérante et les pays n’ont jamais été aussi inquiets.
C’est ainsi que le rapport annuel 2021 sur la sécurité alimentaire et la nutrition de la FAO tire la sonnette d’alarme, avisant les Etats que le monde est en train de s’enfoncer dans le chaos.
Un constat qui allait s’aggraver par la sévère crise sanitaire de Covid-19, mais aussi par la guerre de la Russie contre l’Ukraine qui irrite encore plus les pressions préexistantes sur les prix et l’offre alimentaire.
Ce n’est plus l’Afrique et l’Asie de l’Est qui en pâtissent isolément : le monde entier devient, péniblement, effrayé par les risques de spéculation et d’aggravation de l’insécurité alimentaire.
C’est ce que vient de témoigner, la semaine dernière (19 avril 2022), la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, lors de son intervention dans le cadre d’une séance de travail, organisée par Washington, en marge des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, en soulignant que la crise alimentaire mondiale, exacerbée par la guerre en Ukraine, pourrait plonger 10 millions de personnes dans le monde dans la pauvreté, appelant ses pays partenaires et alliés et institutions financières internationales à se mobiliser.
Il est vraiment temps que le dialogue, dans le cadre d’instances internationales (FAO, OMC, OMS, OCDE, Fonds international de développement agricole, Comité de la sécurité alimentaire mondiale, Programme alimentaire mondial, Union africaine, Union européenne, Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires) soit reconsidéré, pour la mise en œuvre effective d’un nouveau mécanisme de solidarité internationale, articulé autour des diplomaties multilatérale et alimentaire, pour rassembler des dizaines de pays, mais aussi des acteurs non-étatiques.

Souveraineté alimentaire : Le gouvernement se doit de retrousser les manches

Quand le monde crie et déplore le manque et la rareté en aliments de première nécessité, le Royaume du Maroc, grâce à la clairvoyance et l’intelligence de SM le Roi Mohammed VI, que Dieu Le glorifie, avait déjà mis en place une stratégie alimentaire, adaptée aux différentes formes de crises et à l’évolution du contexte international, visant la promotion d’une terre marocaine, rurale, agricole, sécurisée et durable.
Dans son discours adressé au Parlement, à l’occasion de l’ouverture de la session législative d’octobre 2021, SM le Roi avait appelé à asseoir la souveraineté nationale sur des produits stratégiques et à créer un mécanisme spécifique.
Ci-après un extrait de son allocution, inscrite dans une démarche anticipative et prospective, où nombreux pays peinent encore à inventer une approche appropriée, pour éviter d’être enfoncés dans une profonde crise alimentaire :
«Aussi, afin de consolider la sécurité stratégique du pays, Nous appelons à la création d’un dispositif national intégré, ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires, sanitaires et énergétiques et à la mise à jour continue des besoins nationaux en la matière».
C’est ainsi que le Maroc a réussi à approvisionner, en pleine crise de coronavirus, son marché national en denrées alimentaires, en quantités suffisantes, tout en maîtrisant les fluctuations de prix.

Lancement d’une stratégie agricole Génération Green 2020-2023 et d’initiatives pionnières depuis la COP22, opérabilité continue de la politique des barrages pour couvrir les besoins en eau de l’agriculture et des ménages, adaptation aux changements climatiques, conclusion d’accords et de partenariats pour s’approprier les dernières technologies de pointe ; sans oublier la création par Sa Majesté le Roi d’un stock stratégique de produits de base (céréales, sucre, huiles de table, semences) : autant de résolutions qui visent à assurer la souveraineté alimentaire de notre pays.
Toutefois et selon de récentes déclarations du ministre de l’agriculture, la sécheresse allait provoquer, pour le Maroc, une réduction de moitié de la production de blé, contraignant les autorités gouvernementales à importer de l’étranger cette denrée de première nécessité pour combler les besoins nationaux.
Il en est aussi des efforts louables entrepris par les services gouvernementaux pour une limitation de la hausse des prix de certains biens de consommation qui connaissent une demande croissante pendant le mois de jeûne.
Est-ce vraiment la solution définitive? Non, je dirais plutôt temporaire car l’efficacité irait plutôt dans le sens de la durabilité, de l’anticipation et de l’autonomie.
Certes, ces mesures gouvernementales sont à applaudir, mais risqueraient, tout de même, d’avoir de néfastes répercussions, à moyen terme, du moment où les fonds débloqués seraient utilisés aux dépens d’autres services publics.

Il en est aussi de l’insuffisance des revenus, conjuguée à la cherté de la vie, qui demeurent des problèmes fondamentaux à élucider car même si la nourriture existe en quantité suffisante, beaucoup n’ont pas les moyens d’en acheter dans des marchés tendus.
Ainsi et pour éviter toute mauvaise surprise dans les années à venir, une revue des politiques agricole, alimentaire et budgétaire, voire extérieure du Royaume s’impose, pour l’atteinte d’une pleine indépendance de l’étranger, à même de devenir un vivier nourricier de son continent.
La mise en place de mécanismes de contrôle des marchés du grain, privilégiant la production de blé pour l’alimentation humaine, l’augmentation des champs cultivés, la promotion des mesures de soutien à la transition agroécologique, la progression des initiatives des projets alimentaires territoriaux, l’utilisation de céréales moins coûteuses et la diversification des sources de moyens d’existence (cultures marchandes, aquaculture, autoconsommation et revenus non agricoles) s’avèrent être des recettes stratégiques efficaces, en vue d’atténuer les conséquences de la crise alimentaire.

N’oublions pas non plus d’intégrer, dans le cadre des politiques publiques de l’alimentation, des actions liées à l’amélioration de l’éducation à l’alimentation tout au long de la vie au plus près du terrain, ainsi qu’au lancement de campagnes de sensibilisation auprès de l’industrie, pour l’amélioration de la qualité nutritionnelle, sanitaire et environnementale des aliments.
Dans le même ordre d’idées, l’élaboration de stratégies de développement rural et de politiques de développement agricole efficaces s’annonce capitale.
Il devient tout aussi important, au gouvernement de s’appuyer sur la diplomatie alimentaire, dans le cadre de l’optimisation de sa coordination avec le département des Affaires étrangères, pour permettre au pays d’élargir ses partenariats étrangers, de telle manière à en tirer un maximum de profit, en termes de développement d’expertises et de savoir-faire.

Le marché international agricole doit être repensé

Entre rapports de force, sécheresse, pénurie et suralimentation, les différentes organisations mondiales qui codifient et régulent la production, la distribution et la consommation des aliments ne parviennent plus à résorber les besoins du monde actuel, d’où le besoin imminent de définir une nouvelle réglementation universelle, en matière de libération des stocks, d’approvisionnement et de politiques de livraison de denrées alimentaires, dont, particulièrement, les céréales.
Ces institutions internationales devraient, imminemment, mettre en place des plans de réponse rapide aux crises, ainsi que des systèmes d’alerte pour prévoir les pénuries futures.

Dans une autre perspective, la résilience de l’offre mondiale des céréales devrait être renforcée, à travers l’élaboration d’études de terrain, portant sur le potentiel des nouvelles régions productrices et l’amélioration de la productivité par la recherche de nouvelles variétés, mieux adaptées aux différentes régions de culture.
Aussi et face aux menaces et problèmes globaux et croissants, les accords bilatéraux devraient céder la place au multilatéralisme, ce qui permettrait d’assurer la transparence des marchés et d’organiser une solidarité internationale effective.
Faute de quoi, d’inébranlables risques de famine, d’inflation des prix et de crise politique feront couler la majeure partie du monde.

Docteur en droit/Expert en intelligence économique

Analyste en stratégie internationale/Auteur du concept d’intelligence diplomatique

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