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Anice Benjelloun : «On recommande une réelle adéquation entre l’offre et la demande»

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Entretien avec Anice Benjelloun, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI)

ALM : Quelle évaluation faites-vous de l’impact de la Covid-19 sur l’activité immobilière sachant que le secteur a un antécédent assez lourd ?

Anice Benjelloun : En effet, le secteur passait d’ores et déjà par une conjoncture difficile. Une fois le Covid déclenché, on a assisté à un arrêt brutal et quasi total de l’activité qui a été réduite de 95% en cette période. Il y a eu un assèchement des ventes et par conséquent un assèchement des rentrées des promoteurs qui se trouvaient face à une grande difficulté financière, ne pouvant plus payer les fournisseurs et sous-traitants. Sans parler de la désertion des bureaux de vente et l’absence d’ouvriers sur les chantiers.

Comment la FNPI est-elle intervenue pour absorber le choc de la pandémie ?

Nous avons eu des contacts assez étroits avec la tutelle qui a été extrêmement réactive et a essayé de minimiser les effets de cette crise. On a eu plusieurs réunions pour tenter de trouver les schémas adéquats pour la reprise de notre activité, de soulager financièrement les promoteurs immobiliers et renflouer les possibilités financières des acquéreurs. Il est à rappeler que la FNPI a rédigé pas mal de documents, bien avant la crise sanitaire, qu’on a remis aux différentes instances administratives et les départements ministériels concernés, en l’occurrence le ministère de l’aménagement et de l’urbanisme, le ministre de l’économie et des finances et le ministère de l’intérieur auxquels les professionnels ont fait part de leur ressenti et des difficultés vécues et ont proposé toute une batterie de dispositions et d’approches pour faire sortir le secteur de la crise dans laquelle il baigne depuis longtemps.

Qu’est-ce qui a été réalisé de concret pour aider les opérateurs en cette crise sanitaire ?

Le secteur de la promotion immobilière a été exclu, au début, du produit Damane Oxygène. On a dû revenir là-dessus pour le faire intégrer dans ce process. Viendra ensuite le produit Damane Relance qui permettrait d’octroyer 10% du chiffre d’affaires aux promoteurs immobiliers selon certaines conditions de rating et de gearing (ratio d’endettement). Pour Damane Oxygène, malheureusement il y a deux conditions qui sont, à notre sens, un petit peu difficiles. Il est exigé que les chantiers soient avancés de 50% et que les fonds propres des promoteurs soient totalement injectés dans le projet. Ce qui n’est pas souvent le cas pour la simple raison que tous les plans de financement ont été bouleversés et chamboulés par cette pandémie à laquelle on ne s’attendait pas. En ce qui concerne l’aspect relance, il a été mis en place avec le ministère un guide de protection sanitaire des ouvriers avec la responsabilisation des entreprises desquelles ces ouvriers dépendent. Quant aux acquéreurs, on a essayé d’obtenir les réductions des taux bancaires ainsi que les réductions des droits d’enregistrement et de la conservation foncière. Des recommandations qui seront discutées dans le cadre de la loi de Finances rectificative.

Qu’attendez-vous de cette loi ?

On espère aboutir au moins à la réduction des droits d’enregistrement et de la conservation foncière. On a demandé 100% de réduction mais s’ils peuvent ne donner que 50% c’est déjà un acquis. Il faut savoir que les droits d’enregistrement et de conservation foncière sont si importants pour les logements neufs. Ils ont été augmentés de 100% les années dernières. Notre ambition étant de soulager un tout petit peu l’acquéreur quitte à faire de cette mesure une mesure transitoire.
Si l’on peut dresser un bilan chiffré de l’impact de la crise sanitaire sur votre activité. Combien perdrait le secteur cette année ?

Le chiffre d’affaires de l’année dernière a été évalué à environ 65 milliards de dirhams. Je pense qu’on perdra au moins la moitié cette année, si ce n’est plus.

Est-ce que tous les segments du marché ont été touchés au même degré ?

Au même degré, je ne peux le confirmer, mais une chose est sûre : tous les segments ont été impactés par la crise. Il est clair que la priorité d’un citoyen n’est plus d’acheter un logement. C’est pourquoi on est inquiets.

Comment stimuler la demande dans ce cas ?
Observera-t-on une baisse des prix des actifs à l’avenir ?

Les prix sont clairement orientés à la baisse et certains promoteurs ont d’ores et déjà fait des propositions alléchantes aux acquéreurs, à savoir la prise en charge des droits d’enregistrement et conservation foncière ou bien ont offert des avantages par rapport aux acquéreurs. Pour stimuler des acquéreurs il y a lieu de créer des opportunités, notamment la réduction des taux bancaires et la TVA sur les agios qui constitue une charge importante et encore une fois réduire les taux d’enregistrement. C’est ce qu’il faut actionner dans l’immédiat. Parce qu’on ne pourra produire sans les acquéreurs.

Quels sont les enjeux à relever pour une relance effective du secteur ?

Je citerais la problématique administrative. La FNPI a rédigé, récemment, un document avec d’autres Ordres de l’écosystème, à savoir les architectes, les ingénieurs géomètres et topographes, les notaires, les bureaux d’études et contrôle, etc. Il s’agit d’une évaluation du temps écoulé de bout en bout dans les démarches administratives et aussi du nombre de signatures requises pour un projet. C’est une étude précise et bien argumentée qui a été signée par tous les professionnels du secteur. Elle établit une comparaison entre les dispositions antérieures et les dispositions actuelles mises en place par la nouvelle plate-forme «Rokhas». On s’est rendu compte qu’il n’y a pas eu de modifications énormes. Avant, on était sur 135 signatures pour un projet, maintenant on est à environ 100 signatures. On était sur 442 jours de délais, maintenant on tourne autour de 400 jours. Donc cela n’a pas beaucoup évolué.

Qu’est-ce qui freine cette évolution ?

La plateforme Rokhas a seulement permis de déposer les dossiers par voie électronique au lieu de les déposer directement au niveau des communes, mais en termes de traitements aucun changement n’a été apporté. Lors du dépôt, on a affaire à 4 ensembles de remarques émanant de l’Agence urbaine, la commune, la préfecture, la wilaya et le Centre régional d’investissement. Chaque instructeur pose ses remarques qui sont souvent contradictoires et incomplètes. Les promoteurs et les architectes sont obligés de faire le tour de ces instructeurs pour essayer de concilier les points de vue et avoir un avis unifié. En somme, les fondements des circuits n’ont pas changé, d’autant plus que les instructeurs ne disposent pas d’un code de construction clairement établi auquel ils peuvent se référencer pour émettre les remarques. Cela laisse la libre interprétation à l’instructeur de faire ce qu’il veut. C’est désolant. Nous estimons qu’il existe environ 20.000 dossiers en instance, soit 40 milliards de dirhams bloqués pour environ 400.000 emplois.

Comment contourner ce blocage ?

La tutelle a engagé une initiative que nous saluons fortement. Madame la ministre a émis une circulaire aux agences urbaines leur demandant de se concentrer uniquement sur les remarques fondamentales des projets. C’est une excellente démarche qui malheureusement n’a pas eu d’effet parce qu’il y a d’autres intervenants qui ne relèvent pas du département de l’aménagement du territoire. La tutelle a fait son travail, c’est au département de l’intérieur de suivre. Jusqu’à quand notre système restera-t-il maintenu en otage d’un instructeur qui pousse le zèle à aller pinailler sur des détails pour bloquer volontairement les dossiers. Cela fait des années qu’on en parle alors que ce sont des mesures qui peuvent être réglées en 24 heures. D’autant plus que le Maroc passe par une situation difficile et qu’on a besoin de préserver le moindre emploi dans le secteur.

L’appui étatique apporté et les mesures accordées en cette période ont-ils été suffisants pour limiter la casse ?

Je viens de vous parler de la démarche de Madame la ministre en termes de facilitation administrative qui est une excellente démarche mais il faut qu’elle soit suivie de faits. Il en est de même pour les produits «Damane» pour le soutien financier. Une excellente démarche, certes, mais il faudrait qu’elle soit encore plus souple.

Les crédits alloués à la promotion immobilière ont toujours du mal à décoller. Où en êtes-vous sur ce dossier ?

Les banques sont, en effet, réticentes. Et on peut les comprendre. C’est juste qu’elles exigent un taux de commercialisation minimum pour voir quelles vont va être la faisabilité et la qualité du projet avant d’investir. Ce sont des conditions qui sont normales, il suffit juste d’être moins frileux, notamment en cette période de crise et de faire baisser les taux. Ceux qui sont pratiqués par rapport aux acquéreurs sont actuellement de 4,5%, contre 6% pour les promoteurs. Ce sont des taux qui restent élevés aussi bien pour les promoteurs que pour les acquéreurs.

Cette nouvelle baisse du taux directeur est-elle porteuse d’espoir ?

On l’espère bien mais le levier sur lequel il faut agir est le coût du foncier. Le ministère de l’urbanisme doit opter pour une nouvelle vision urbanistique basée sur l’établissement de nouveaux plans d’aménagement. Il faut que le schéma directeur soit beaucoup plus souple et qu’il permette une importante réduction du coût du foncier. Il est utile de souligner que le foncier coûte très cher dans les grandes agglomérations, notamment sur Casablanca et Rabat qui représentent 40% de la production et de la consommation. A titre d’exemple, un logement de la gamme supérieure sur ces deux villes se situerait autour de 25.000 dirhams le mètre carré alors qu’il ne dépasserait pas les 8.000 dirhams à Fès.

Vous contestez aussi la mise en place du référentiel sachant que vous étiez une partie prenante à son lancement…

On était obligés de suivre. Le référentiel des prix n’a plus raison d’être surtout dans le cadre d’un marché baissier. Les prix baissent de façon visible et palpable au jour le jour alors que le référentiel est figé. On se pose même la question si ce n’est pas un outil qui est bloquant pour les transactions. Quand vous avez un particulier qui veut vendre son bien estimé par le référentiel à 100 alors qu’il lui rapporte à peine 80 sur le marché, il hésitera à l’écouler de crainte d’une révision fiscale. Donc, il y a lieu de revoir ce référentiel surtout en période de crise.

Parlons un peu d’avenir. Comment s’annonce le post-Covid ? Y aura-t-il de nouvelles orientations en termes de demandes et de productions ?

Le moteur principal de tout l’écosystème est l’acquéreur et son pouvoir d’achat. Les études faites par le ministère, datant de 2018, font état d’une demande de logements qui ne dépasse pas les 400.000 dirhams pour des surfaces allant de 80 jusqu’à 120 mètres carrés. 80% de la demande se situe dans cette catégorie. Il faut bien se rendre compte que les salaires sont ce qu’ils sont au Maroc, que le pouvoir d’achat est faible et qu’il faut répondre à cette demande-là, notamment dans les grandes agglomérations. Pour le faire, il est impératif de revoir la politique d’urbanisation et de mise en place de plan d’aménagement pour réduire encore une fois le prix du foncier.

D’après vous, quels sont les principaux enseignements à tirer de cette crise ?

Les enseignements sont multiples. Il y a lieu, selon nous, de professionnaliser le secteur de manière à ce que les produits mis sur le marché soient de qualité. Donc on demande à ce qu’il y ait un statut de promoteur. On recommande également une réelle adéquation entre l’offre et la demande et ne pas aller sur des propositions d’offres qui ne correspondent pas à un besoin réel, tout en tenant en compte le pouvoir d’achat des Marocains. Il faut également améliorer la qualité et revoir aussi le concept urbanistique de manière à permettre une vie harmonieuse des acquéreurs dans un environnement favorable avec certaines orientations de manière à permettre la mise en place davantage d’espaces verts. Et pourquoi pas ne pas privilégier la verticalité pour libérer du terrain au sol et faire des espaces de jeux et de loisirs pour un environnement agréable à vivre.

Quels sont les leviers à activer dans l’immédiat ?

Il est anormal de rester sur des délais administratifs de 400 jours et 130 signatures. C’est un problème qui peut être réglé rapidement et qui ne coûtera rien au budget de l’État. Il faut soulager les promoteurs immobiliers qui sont en grosses difficultés financières et dont les plans de financement ont été chamboulés. Il faut mettre en action les produits «Damane» de manière réelle, concrète et plus simplifiée effectivement pour des opérateurs qui sont viables et pas pour ceux qui ont de grosses difficultés financières et des défauts de bilan énormes. Il faut aussi augmenter le pouvoir d’achat par des mesures telles que la réduction des taux d’enregistrement et de conservation foncière, la réduction des taux d’intérêt bancaires et pourquoi pas enlever la TVA sur les crédits bancaires. Sans oublier la réduction du prix du foncier, un chantier qui doit être bien étudié particulièrement au niveau des grandes villes et leurs périphéries.

Par rapport à la typologie des produits, sur quel segment faut-il miser en cette phase de relance ?

Les logements sociaux ont eu du succès parce qu’ils ne sont pas chers et à la portée financière des consommateurs. Il faut aller dans ce sens et modifier cette offre en proposant éventuellement une offre au mètre carré avec des surfaces modulables qui varient entre 50 et 100 mètres carrés au prix de 6.000 à 6.500 dirhams le mètre carré.

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