Devant la conservation foncière de Casablanca-Anfa, il est 14h55. La grande porte est encore fermée, mais une dizaine de personnes est déjà sur place. Fonctionnaires, clercs et notaires ou simples citoyens attendent l’ouverture de cette administration devant un échafaudage dressé pour la réfection de la façade du bâtiment.
A 15h, ils se retrouvent tous dans un hall équipé de sièges flambant neufs alignés devant un comptoir qui longe les murs. D’emblée, une grande queue s’est formée devant les différents guichets.
Un notaire se présente au comptoir demandant la consultation d’un titre foncier. Chose que la fonctionnaire refuse gentiment mais fermement. Le titre demandé ne pourrait être consulté directement mais lu par le fonctionnaire de service. Les documents qui y figurent ne doivent pas être lus.
La parole du fonctionnaire de la conservation suffit. « Cette situation est inadmissible. Comment pourrait-on demander à un notaire de faire son travail correctement alors qu’il ne peut être sûr de la véracité des données qu’il atteste avoir vérifiées ? Accepter que cette situation dure reviendrait à mettre la qualité et la sécurité des transactions immobilières en péril», s’insurge Abdelmajid Benjelloun-Zahr, notaire à Casablanca. Et d’ajouter : « Auparavant, nous disposions d’une salle qui nous était réservée pour la consultation de tout document foncier.
A présent, cette salle a été transformée en bureaux et on nous oblige à faire la queue avec de simples citoyens ». Pour les responsables de la conservation, cette situation n’est qu’un respect des règles imposées par la loi. Ce « retour à l’application stricte de la loi» fait partie d’une large restructuration de cette conservation foncière de la capitale économique du Royaume. En plus de la nomination d’un nouveau conservateur général, il a été procédé, depuis le 4 janvier, à la fusion de trois conservations : celles d’Anfa, de Sidi Belyout-Moulay Youssef et de Derb Soltane-Fida. « Nous ne faisons qu’appliquer la loi qui stipule que seuls les fonctionnaires de la conservation sont habilités à consulter directement les documents fonciers, vu la grande importance de ces derniers. Cette décision a été prise pour éviter toute tentative de subtilisation de titres fonciers à l’insu des responsables de la conservation », explique un des trois conservateurs adjoints de Casablanca-Anfa. « Pour faciliter le travail des notaires, les avocats notamment, la direction a réservé quatre personnes qui travaillent constamment aux consultations. Nous agissons dans une logique de partenariat avec ces corps de métiers », ajoute-t-il. Motivé par des considérations d’organisation, ce changement a affecté tous les services de cette administration. Leur bonne marche s’en est effectivement beaucoup ressentie.
Un petit saut au bureau des attestations en est la preuve irréfutable. Aux quatre coins de la pièce se trouvent des dossiers amassés qui datent de plusieurs jours alors que le délai ordinaire de délivrance était auparavant de 48h. «Ce retard n’est vraiment pas normal. Alors que je devais avoir mon papier en main il y a de cela trois jours, je me déplace en vain. Je me suis bien acquittée de tous les frais et autres taxes», se demande une femme âgée, dépitée par les retards répétitifs.
Dans les couloirs de la conservation, l’unanimité quant à l’inefficacité de la nouvelle organisation est totale, surtout de l’autre côté du rez-de-chaussée du bâtiment, où se trouvent les trois caisses de l’ancienne organisation. Actuellement, il n’en existe plus qu’une seule, avec deux autres guichets certes, mais tous les dossiers sont centralisés au niveau d’une seule personne.
Et il suffit que ce caissier ait quelques petites minutes de retard, ce qui peut arriver dans n’importe quelle administration et bureau, pour que le travail s’en trouve retardé.
Les travaux de rénovation de certaines parties du bâtiment et le changement de mobilier n’arrangent apparemment rien. Les couloirs encombrés sont à l’origine d’une gêne supplémentaire, même si elle est occasionnelle. Les grèves régulières que connaît cette administration depuis de nombreux mois à l’échelle nationale noircissent le tableau. Jusqu’à quand la conservation foncière, qui gère un secteur vital à l’investissement, pourrait-elle vivre dans un tel chaos?