Immobilier

Une nuit dans un bidonville

© D.R

Souk Sebt, l’un des plus grands bidonvilles de Kénitra, 17h30. Les quelques passants croisés dans ces dédales de tôles et de plastique ne semblent pas prendre gare à ce froid automnal. Sandales aux pieds pour la plupart, femmes et enfants vaquent à leurs occupations quotidiennes. Même la pluie fine qui s’abat depuis des heures sur la capitale du Gharb et ce vent glacial n’ont pas réussi à avoir raison des ces petits rassemblements de voisinages, fruit de désœuvrement et de chômage, qui caractérisent tant les bidonvilles marocains.
La grisaille du ciel est relayée par celles d’un océan de tôles noirâtres et de cet arrière-plan que représente la forêt Maâmora. Seules quelques antennes paraboliques, poussant pourtant sur la majorité des baraques sèment une touche de couleur, la seule permise dans un décor pareil. Mais en cette fin de journée, l’atmosphère est beaucoup plus lugubre que d’ordinaire. Et pour cause, les pluies bienfaitrices, qui se sont précipitées sur le pays ces derniers jours, n’ont pas fait que des heureux dans ce foyer d’habitat insalubre datant du début des années 70 et habité par près de 700 ménages. Rares sont les familles qui ont échappé au déluge.
Dans cette masse habitée qui échappe à toute planification urbanistique, où égouts et canalisations sont inconnus, l’eau devient vite un élément avec qui la cohabitation est un mal nécessaire durant plusieurs mois par an. Saâdia, la trentaine bien entamée, le vit comme un événement intimement lié à la venue de l’hiver.
Déteignant avec la grisaille ambiante, elle se met à la porte de sa barque, un vaste deux pièces salon cuisine hall que son mari, Ahmed, la quarantaine, a construit quelques mois avant leur mariage il y a de cela 14 ans. Tout à l’intérieur est humide. Du parterre aux murs en passant par le mobilier, d’ailleurs d’une propreté immaculée. «C’est tous les ans ainsi. Dès les premières pluies, tout le bidonville est submergé par les flaques d’eau.
Plusieurs baraques se trouvent noyées», explique-t-elle avant de donner l’exemple de cette voisine, la soixantaine passée, qui a vu  le plafond de sa baraque lui tomber dessus il y a une quinzaine de jours». «C’est une vieille femme qui n’a plus personne dans la vie et qui n’a pas le sou. Les tôles de sa maison sont anciennes.
Le toit est soutenu par des poutrelles en bois qui n’ont pas été changées ni renforcées pendant longtemps. En plus, elle a recouvert son toit de plastique ce qui a aidé à la rétention de beaucoup d’eau», précise le mari de Saâdia. Vers 23h ce soir-là, la bonne femme s’est retrouvée sans toit. Tous ses effets personnels, ses vêtements, son petit mobilier modeste et ses quelques ustensiles de cuisine ont été engloutis. «Après une courte nuit passée chez les voisins, je me souviendrais toujours de son regard résigné et des quelques mots qu’elle a prononcés, avant de franchir le pas de sa demeure à moitié démolie», ajoute Saâdia devant un verre de thé et un plat de harcha et à la lumière d’une lampe à gaz.
La jeune mère au foyer, emmitouflé dans un peignoir de laine vert pâle, semble ravie de ce semblant de tiédeur procuré à l’aide de peaux de mouton, jetées un peu partout pour parer au froid glacial que les mètres carrés de tôles n’arrivent à repousser. Un moment de paix savouré après une dure journée passée à prendre soin d’Anouar (13 ans), Ilyass (10 ans) et Mohammed (5 ans), ses fils et raison de sa vie. Un scénario que cette maman voudrait éviter à tout prix. N’ayant pas le choix, elle prend au sérieux les risques de flottes, aussi minimes soient-ils. A chaque automne, elle se plie à un rituel saisonnier.
Les meubles sont réduits à l’essentiel et recouverts de plastique. Tout le reste doit se trouver à l’abri dans un coin de la chambre à coucher. A Sebt (c’est de cette manière que les bidonvillois appellent communément leur douar), l’on ne badine pas avec la pluie en novembre. Sirotant son thé avec la délectation de celui qui n’a jamais goûté meilleur breuvage, Ahmed montre avec fierté les poutres de son propre toit, en acier cette fois-ci. « J’y ai mis un peu d’argent, mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas mettre ma faille en danger ».
Balade nocturne
Cette collation au bon goût paysan terminée, la père de famille, quadragénaire et ouvrier d’une entreprise de collecte de déchets solides s’improvise vite en guide. Se promener dans un bidonville le jour est une entreprise bien délicate, surtout pour un étranger souvent très mal vu et accueilli en agresseur. Mais le soir, 20h passées, la simple promenade se transforme en un petit périple plein de surprises.
Les premières sont ces petites flaques d’eau, jonchant le sol et rendant impraticables les différents petits sentiers du bidonville. Mais les plus mauvaises se trouvent au détour d’une petite ruelle, derrière un petit mur effondré ou encore autour d’un faisceau lumineux provenant de l’épicier du coin. Ce sont ces jeunes désœuvrés, drogués pour qui agression, vol et viol sont synonymes de survie. Et ils sont nombreux à Souk Sebt. «Les seules fois où l’on peut espérer croiser des policiers à l’intérieur des bidonvilles surviennent à l’occasion d’un crime.
Tout dernièrement, un jeune homme a été tué à quelques mètres d’ici. Le coupable n’a toujours pas été arrêté», fait remarquer Tarik, un jeune de 15 ans dont les visites au collège deviennent de plus en plus rares. Plus loin, ce sont des ombres de maisons récemment détruites qui attirent l’attention. Kénitra dispose en effet d’une convention «Villes sans bidonvilles», signée l’année dernière entre le ministère chargé de l’Habitat et de l’Urbanisme, représenté par Al Omrane, la wilaya et les élus locaux.
Elle vise l’éradication de toutes les habitations non-conformes à l’horizon 2008. mais pour les «Sebtis», aussi bien que les habitants des bidonvilles voisins Zafa, Somal ou Douar Taha, le programme de recasement a commencé en 1997. Des lots ont depuis été mis à leur disposition, de 63m2 et de 80m2 au prix de 200 Dh le m2. Huit années plus tard, le bidonville existe toujours, au grand dépit de ces centaines de familles qui y logent. Chacune d’entre elles est bercée par l’espoir de quitter cet enfer de tôles.
Froideur de tôle, chaleur humaine
« Nous ne nous faisons pas d’illusion. Je mourrais peut-être sans pouvoir déménager de ce trou à rats où j’habite. C’est le destin des gens indésirables comme nous», souligne un vieillard, découvert au coin d’une rue en train de déboucher une canalisation d’eaux usées qui a inondé la ruelle de puanteur. La pluie, bénite dans tout le Maroc, semble ne pas être la bienvenue dans cette parcelle de terre pourtant ne disposant pas de cette denrée rare à volonté.
Quelques fontaines publiques aménagées par la commune fournissent à ces centaines de foyers leur ration quotidienne en eau. La valse aux bidons, brouettes et sceaux se danse plusieurs fois par jour, par petits et grands, même à 22h, eau fraîche pour le dîner oblige. Un repas d’ailleurs copieux. Tajine de veau aux pruneaux. Un luxe pour cette famille de cinq personnes qui trouve du mal à joindre les deux bouts et qui se fait beaucoup de soucis quant aux fins de mois. D’ailleurs, au moment de se mettre à table, un lourd silence s’abat sur cette famille qui a l’habitude de se mettre au lit très tôt.
Par souci d’économie d’abord puisque la petite bonbonne de gaz, utilisée pour l’éclairage du séjour, doit durer le plus longtemps possible. La télévision, un vieux poste en noir et blanc ne peut marcher longtemps. Les batteries qui l’alimentent en électricité nécessitent toute une organisation. S’épuisant au bout d’une semaine, il leur faut 24 heures pour se recharger moyennant 7 DH chacune. D’ailleurs, cette nuit-là, la petite famille devait se contenter des émissions de la première chaîne nationale, les chaînes satellitaires, qu’elle capte à l’aide d’une antenne parabolique numérique, petit caprice permis à coup de sacrifices financiers, lui sont interdites, la batterie traditionnelle étant épuisée. Pour ce qui est des devoirs, ils sont loin d’être un rendez-vous quotidien pour cette famille dont la mère est analphabète, et le papa rentre toutes les fins d’après-midi épuisé après une journée de travail qui commence à 4h du matin, mais qui mettent un point d’honneur à suivre la scolarité de leurs enfants. « Difficile aussi de passer un long moment à déchiffrer des livres à la lumière d’une bougie », fait remarquer timidement Ilyass, qui souffre d’une myopie depuis son jeune âge.
Après un dîner dégusté en silence à la lumière d’une petite bougie, place au rituel d’avant-coucher. Les trois enfants, brosses à dents en main, se précipitent sur une bassinette en plastique pour leur toilette au moment où la maman se précipite de débarrasser la table et où le papa s’affaire à préparer le lit de leur invitée. Sur le sacro-saint plastique qui couvre tous les meubles de la baraque, peaux de moutons et couvertures se superposent. Dans cette couche improvisée sur une banquette de salon, le silence de la forêt Maâmora toute proche apparaît encore plus impressionnant. Une fois la lampe à gaz éteinte, les ombres des tôles et des murs, que l’on devine plus que l’on ne voit, deviennent plus effrayantes.
Dans cette atmosphère d’humidité froide, l’on n’a plus le droit d’avoir un besoin urgent. Le petit trajet jusqu’aux toilettes aménagées à l’entrée de la baraque se transforme en une entreprise périlleuse. Difficile également de trouver le sommeil, surtout en fixant ces tôles ondulées qui font le quotidien de centaines, voire de millions de Marocains de par le Royaume.
Le réveil, à 6h30 du matin, est presque une délivrance
Une pauvreté qui ne les empêche cependant pas d’évoluer, tant bien que mal, dans une vie qui leur refuse beaucoup de confort mais qui les a dotés d’un grand cœur. En effet, à Souk Sebt, tout le monde connaît tout le monde. Ou presque. De ce jeune enfant de cinq années qui, le sourire aux lèvres, vous prend la main à la recherche de l’emplacement du four de son grand-père, construction récemment démolie par les autorités de la ville, à cette bonne dame qui puise dans une bouteille d’eau fraîchement remplie pour étancher la soif d’un simple passant, au risque de refaire ces centaines de mètres qui la séparent de la fontaine publique. A Souk Sebt, il n’y a ni électricité, ni eau, ni canalisations d’eaux usées. Il n’y a que la pauvreté, la violence, le chômage et l’analphabétisme. Des conditions qui n’empêchent cependant pas des milliers de personnes de mener une vie paisible, pleine de joie et de malheurs.
En se couchant, dans un froid de canard qui, en été, se transforme en fournaise, l’on ne trouve aucun mal à trouver le sommeil. Au milieu des aboiements des chiens nombreux à la ronde, Morphée ouvre bien vite ses bras pour une longue nuit de repos bien mérité. Le lendemain aura certainement son lot de soucis.

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