Encore une réforme qui risque de rater sa cible. L’application d’un taux de TVA de 14% sur le beurre, inscrite dans le projet de loi de Finances en discussion au Parlement, risque de n’être finalement que de la poudre aux yeux. «Un arbre qui cache la forêt», clame un député membre de la commission Finances au Parlement. En effet, cette mesure, proposée aux Finances par le ministère du Commerce et de l’Industrie, ne concernerait plus, selon les informations, le beurre en vrac, soit l’essentiel de la consommation marocaine.
La TVA sur la margarine, outre qu’elle constitue un frein rapporte peu à l’Etat, estiment les producteurs. «L’Etat gagnerait beaucoup en imposant au beurre une TVA de 20% qu’en restant sur un principe d’alignement partiel », estime un industriel. Vendu encore à la coupe dans certains cas, importé à 90%, le beurre en vrac ne profite, rappelle le représentant du peuple, qu’à une infime minorité, à savoir les agents importateurs. D’autres familles de beurre, rentrant plus ou moins dans cette définition, seront aussi exonérées et continueront à bénéficier du taux nul. Si bien que, de la proposition du département du Commerce et de l’Industrie, il ne restera finalement plus rien. On est bien loin des mesures contraignantes appliquées à l’industrie de la margarine. Celle-ci, soumise à un taux 14%, est loin de se réjouir, sachant que ce n’est pas en limitant la TVA au seul beurre conditionné, que le problème sera résolu.
En décidant de soumettre ce produit importé, logé souvent dans les rayons de luxe des supermarchés, à un taux de 14%, le ministère des Finances semble vouloir réparer une sorte de discrimination préjudiciable à une industrie nationale. Mais encore, faudrait-il pour que la mesure soit efficace que le vrai concurrent de la margarine, le beurre vendu en vrac, souvent à la coupe (pourtant interdit par la loi) passe à la caisse.
C’est ce que réclame l’AFAMAR (Association des fabricants de margarine), depuis dix ans. Directeur commercial de Margafrique, Hassan Berrannoun rappelle que «si la philosophie de la TVA consiste en une redistribution des richesses des couches favorisées aux couches défavorisées, alors c’est à la margarine, produit social ayant une forte pénétration dans les couches populaires d’en être bénéficiaire». Pour le moment ce n’est pas le cas. Dans le texte en discussion au Parlement, le principe de l’équité se limite à l’application d’un même taux au beurre conditionné et à la margarine. Pourtant, rappelle-t-on chez les producteurs de margarine, les arguments de ceux qui veulent exclure le beurre en vrac du champ de la TVA tiennent du fait que c’est un produit social. Or, la margarine est un produit non seulement social, mais aussi une industrie qui intègre beaucoup d’activités et emploie directement, d’après les chiffres du secteur, plus de 4 000 personnes.
La production est essentiellement concentrée dans la zone de Casablanca mais aussi vers Agadir. Les grandes entreprises ont pour nom Margafrique, Indusalim, Sofadex et des Etablissements Oubaha. Un nouvel investissement du groupe Belhacen est en cours dans la zone d’Agadir. En tonnage, la production annuelle oscille entre 30 et 40 000 tonnes. Entre 10 et 15% de ce total est exporté essentiellement vers l’Afrique de l’Ouest. Le chiffre d’affaires du secteur est de 600 millions de dirhams. Ces arguments numériques souvent mis en avant par les producteurs pour dénoncer la discrimination dont est victime le secteur vis-à-vis du beurre n’émeuvent outre mesure les concepteurs de la loi de Finances.
En plus de l’exonération de la TVA, les importateurs de beurre bénéficient vis-à-vis de l’Union européenne de droits préférentiels sur 8 800 tonnes. C’est-à-dire, au lieu de payer 32,5% de droits d’importation, ce tonnage franchit les ports du Royaume avec un quitus de 10%. Cerise sur le gâteau, en aval, ce beurre importé bénéficie des mesures de restitution prévues par l’Union européenne. «A qui donc profite l’argent du beurre ?», martèlent les producteurs de margarine qui s’étonnent de cette grande tolérance observée par le ministère des Finances dès qu’il s’agit du beurre. Ce régime «préférentiel» explique sans doute la prépondérance des importations de beurre (40.000 tonnes) sur une production locale qui fait à peine le tiers de ce chiffre.
Bref, les partisans de l’imposition totale du beurre appuient leur argumentaire en attirant l’attention des parlementaires sur de possibles risques de voir les importations de la catégorie non soumise à la TVA- à savoir le beurre en vrac- monter en flèche. Ce qui, ne serait-ce que du point de vue sanitaire, pose problème. Dans tous les cas, la réforme est suspendue aux actions des différents lobby. A suivre.