Entretien avec Badr Ikken, directeur général de l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN)
ALM : Le Maroc ne cesse de formuler son ambition de développer une expertise en termes d’hydrogène vert. Quels sont les atouts dont jouit le Royaume pour développer cette filière?
Badr Ikken : La vision royale ainsi que les projets ambitieux et volontaristes que nous avons mis en place nous ont bien placés sur l’échiquier international. Aujourd’hui, les consortiums et grands groupes qui sont intéressés par cette filière d’hydrogène vert peuvent s’orienter vers le Maroc pour la simple raison qu’il dispose d’une bonne expertise en termes du renouvelable. Outre l’engagement du secteur public à relever le défi de la transition énergétique, le Maroc dispose de grandes industries et infrastructures de recherche qui permettront d’accompagner cette dynamique et de l’ériger non seulement en tant que champion d’énergies renouvelables et de la production de la molécule verte mais également en tant que champion du « Made in Morocco vert ».
Quelles sont les instances qui pilotent cette filière?
Nous disposons actuellement d’une commission nationale en charge de l’hydrogène vert qui tient des réunions à fréquences régulières. Nous disposons aussi d’un cluster « Green H2 » qui, tout comme la commission nationale, œuvre à accompagner l’émergence de cette filière, dans le cadre d’une approche publique-privée. En effet, 40 entreprises y adhèrent aux côtés des universités et des centres de recherches. L’idée étant d’avoir un cluster orienté recherche, innovation et industrie.
La filière dispose aujourd’hui d’une feuille de route bien ficelée. Quelles sont les grandes lignes de ce dispositif ?
Il est important de souligner que le Maroc figure parmi les premiers pays arabes et africains à avoir une feuille de route dédiée à l’hydrogène vert. Le dispositif s’articule autour de huit piliers, à savoir la baisse des coûts, le développement d’un écosystème d’expertise et de recherche & innovation, la mise en place d’un cluster industriel, l’élaboration du schéma directeur de l’infrastructure ainsi que la préparation d’un cadre propice à l’export. A cela s’ajoutent l’axe financement et le développement du marché local.
Comment s’opère cette feuille de route sur le terrain?
Nous avons des activités en cours pour la mise en place de chaque axe précité. Sur le volet « encouragement du développement de l’expertise et de la recherche & innovation, à titre d’exemple, IRESEN œuvre en collaboration avec l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P) et le Green Energy Park pour la mise en place d’une plateforme de recherche baptisée “Green h2 A” dont les travaux de construction démarreront début 2022. Cette plateforme de recherche ressemblera dans son concept à la plateforme Green Energy Park de Benguerir qui intègre des laboratoires et plusieurs projets pilotes portant sur l’exploitation, la maintenance, la validation des solutions technologiques et l’optimisation de systèmes. La plateforme Green H2A intégrera plusieurs laboratoires pour les applications hydrogènes. Cette plateforme sera au niveau du site industriel de Jorf. Cette infrastructure permettra en effet d’accompagner la dynamique opérée. Car pour accompagner l’émergence d’une filière il faut rendre disponibles à la fois l’expertise et les infrastructures de recherches et d’innovation. La plateforme Green H2A répond pleinement à cette orientation. Il va y avoir, dans l’avenir, plusieurs projets pilotes. Un appel d’offres est déjà lancé pour la sélection avant la fin de l’année du consortium qui, début 2022, commencera à mettre des projets pilotes dont un pour la production d’ammoniac vert, soit une première au niveau du continent. D’autres projets suivront tels que ceux relatifs au tétanol vert, les combustibles synthétiques, en l’occurrence le kérosène et le diesel synthétiques
Quelle est la consistance des premiers projets qui seront mis en œuvre?
Nous commencerons par des projets pilotes de petites tailles. Cela nous permettra de maîtriser davantage la technologie et d’accompagner au mieux la montée en puissance passant ainsi du mégawatt au gigawatt. D’ailleurs, même les producteurs d’électrolyseurs, composant essentiel de cette chaîne de valeur, adoptent le même schéma. Ils passent actuellement du 1 mégawatt à 10 voire 20 mégawatts. Certes, il faudra encore quelques années pour atteindre la vitesse de croisière mais nous sommes en train de nous positionner pour avoir tous les atouts afin de développer cette filière. Ceci passe par la préparation en amont de l’expertise ainsi que le positionnement des industriels et entreprises sur les différents maillons de la chaîne de valeur. Il ne faut pas oublier que nous avons de très grandes entreprises positionnées sur les énergies renouvelables avec une part importante pour l’éolien et le solaire ainsi que de grands industriels sur des secteurs à forte valeur ajoutée tels que la chimie.
Dispose-t-on d’un cadre réglementaire propice au développement de cette filière dans les délais impartis ?
Comme je l’ai cité auparavant, pour chaque axe annoncé dans le cadre de la feuille de route nous menons des études détaillées qui permettront de mettre en place rapidement le cadre réglementaire nécessaire. Les premiers projets commenceront probablement à partir de 2026-2027. D’ici là nous avons le temps pour mettre en place les cadres propices pour développer la filière qui nous permettra d’exporter cette matière première et ce vecteur d’énergie. Pour ce faire, nous pouvons très bien utiliser, dans un premier temps, l’infrastructure maritime existante pour exporter cette matière première. C’est une orientation importante pour renforcer notre positionnement et le positionnement du secteur privé. On peut clairement faire l’analogie entre l’hydrogène vert et l’industrie automobile. Après avoir préparé le cadre propice, les consortiums viendront s’installer au Maroc pour utiliser les ressources abondantes renouvelables, la transformer et l’exporter comme on exporte les voitures.
Cet objectif d’exportation est-il réalisable?
Le potentiel d’export est beaucoup plus important. Si l’on prend la décarbonation pour exemple, le marché local reste limité par rapport à nos gisements et potentialités. Cependant, l’exportation nous permettra d’exploiter encore plus fortement le gisement renouvelable ainsi que de cofinancer notre transition énergétique et la forte décarbonation de différents secteurs de notre pays. Nous avons commencé à décarboner le secteur d’électricité au Maroc mais il est important de décarboner la mobilité, les transports et les industries.
Qu’en est-il de la coopération internationale?
La collaboration internationale est très importante. Il s’agit vraiment de contribuer à développer des marchés régionaux et créer des complémentarités entre les pays producteurs et les pays importateurs. Il est à souligner que le Maroc scelle des partenariats avec plusieurs pays dont le Portugal. Nous disposons également d’un cadre de collaboration internationale mis en place par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) et coordonné par le Maroc et la Commission européenne. Les travaux dans ce sens portent sur les standards, les certificats de garantie d’origine ainsi que la réglementation. Il sera également procédé durant la COP à la création d’une alliance africaine d’hydrogène vert.