Ines est l’une des plus grandes maisons de production et de duplication de cassettes au Maroc. Chaque jour, quelques 120.000 cassettes et 90.000 CD sortent de ses usines. Chaque jour aussi, toutes ces bandes se retrouvent noyées au milieu de dizaines de milliers d’autres, tout droit venues des unités de reproduction informelles situées aux environs de Meknès, haut lieu des pirates de tout genre. «Plus de la moitié des cassettes mises en vente sur le marché marocain est d’origine douteuse», affirme Rachid Bellali, chef du service export chez Ines. «Tout est piraté : musique, coran, hadith. Même les génériques des novelas mexicaines sont enregistrés et mis en vente», assure-t-il. Les estimations hasardeusement sont la seule règle, en l’absence de données exactes et de statistiques officielles.
Mises à mal par le piratage successif de ses productions, les sociétés de production ne détiennent plus aucune exclusivité. Depuis plusieurs années déjà, Ines, comme nombre d’autres producteurs, n’interviennent plus dans les principaux «centre d’intérêt» des pirates : la musique chaâbi et la chanson pop orientale. Pour se défendre contre le piratage, les producteurs ne peuvent compter ni sur la protection de l’Etat, démissionnaire sur ce dossier, ni sur celle de la loi qui semble exister pour être violée et encore moins sur le Bureau Marocain du Droit d’Auteur (BMDA), auteur par ailleurs d’une compagne médiatique ratée et qui n’a nullement les moyens de ses prétentions.
L’autodéfense est donc le seul moyen de sauver ce qui peut l’être. Des pratiques tordues mais efficaces comme le dumping sont souvent employées. Ainsi, des dizaines de milliers de cassettes originales sont mises en vente en même temps, et au même prix que les bandes piratées, de façon à inonder le marché. Le revendeur n’a donc plus aucun intérêt à s’approvisionner auprès des pirates. Fabriquée à grande échelle, la cassette ne coûte plus, à sa sortie d’usine, que 4 à 5 dirhams et devient alors concurrentielle par rapport au marché informel. Dans ce marché régi par la loi des contrefacteurs, tout le monde est lésé. L’Etat est spolié des ressources du timbre apposé sur les cassettes originales. L’artiste n’espérant plus recouvrir l’intégralité de ses droits préfère désormais percevoir un forfait quelque soit le succès rencontré par son oeuvre. Quant au producteur, confronté à des contrefacteurs de plus en plus redoutables, il voit les risques de son métier augmenter et ne prend plus, de ce fait, de risques intellectuels en privilégiant la qualité et l’innovation.