Interview de Mohammed Fikrat, président-directeur général de Cosumar
ALM : Quelle est la particularité du secteur sucrier et de quoi a-t-il besoin pour garder sa dynamique ?
Mohammed Fikrat : Le secteur sucrier a la particularité de regrouper à chaque fois un ensemble de parties prenantes. Il s’agit des agriculteurs, des industriels, des clients mais aussi de l’administration. En effet, le secteur sucrier a besoin d’un environnement propice des affaires et d’une réglementation adaptée pour surmonter les différents obstacles auxquels il fait face. A ce titre, ces difficultés sont liées aux aléas climatiques mais également à la conjoncture économique. C’est une filière fédératrice qui a créé un écosystème où le professionnalisme règne. C’est ce que nous essayons de reproduire à l’échelle de notre activité au Maroc. Nous avons beaucoup de défis à relever dans l’avenir. En outre, le secteur a besoin de réglementation parce qu’il y a une différence entre le sucre extrait de la betterave et le sucre extrait de la canne.
Pourriez-vous nous donner une idée sur la situation générale de la filière sucrière au Maroc ?
La betterave au Maroc est plantée dans cinq régions différentes, à savoir Doukkala, Tadla, Melouiya, Gharb et le Loukkous. Il y a aussi la canne cultivée dans deux régions : Gharb et le Loukkous. Actuellement, nous disposons de cinq usines sucreries de betterave et deux usines de canne. En termes de production, l’année dernière nous avons enregistré pas moins de 50% des besoins du marché national. Concernant le cycle de plantation de la betterave, il commence entre la mi-septembre et se termine vers début janvier-fin décembre : et ce selon les régions. Cette année nous avons planté un peu plus de 50.000 ha. La filière sucrière a pu réaliser des résultats exceptionnels au cours de l’année dernière grâce à la contribution de plusieurs parties prenantes. Il s’agit notamment du ministère de l’agriculture, de la Comader, des associations des agriculteurs et des femmes et des hommes qui travaillent au sein de Cosumar. En termes de capital humain, la société dispose d’une centaine d’ingénieurs agronomes et techniciens supérieurs qui encadrent cette culture. Ce résultat revient également au choix et à la bonne sélection de la semence de betterave et à l’introduction de plusieurs techniques modernes comme la mécanisation. Ces conditions réunies permettent de lutter contre les difficultés liées aux aléas climatiques tels que la sécheresse. Ainsi il suffit d’avoir suffisamment d’eau dans les barrages et que les programmes d’irrigation de fertilisation du sol soient respectés pour arriver au résultat escompté. C’était le cas l’année dernière où on a atteint une moyenne supérieure à 12 tonnes du sucre à l’hectare alors qu’au début de la décennie on était à environ 6 tonnes de sucre à l’hectare. Cette performance est parfaitement reproductible dans la mesure où les conditions nécessaires à cette culture sont respectées telles que la bonne préparation du sol ou encore le bon choix de semence.
Justement quel est le potentiel à l’export du Maroc vers l’Afrique ?
Notre capacité globale est de 1.650.000 tonnes de sucre blanc entre sucrerie et raffinerie. Notre marché est actuellement de 1.250.000 tonnes de sucre blanc. Il faut savoir que le marché du sucre brut et du sucre blanc est très volatil. Il est régi par la Bourse de New York pour le sucre brut et par la Bourse de Londres pour le sucre blanc et vous avez un mouvement perpétuel de variation. Notre priorité reste de servir le marché national. De même, quand on se dirige vers l’export on le fait sans recourir à la subvention. Grâce à la bonne réputation du groupe on reçoit incessamment des demandes de différents continents et de différents pays. A cet égard, il est important de mettre en avant Casablanca qui est un véritable hub servant plusieurs destinations. Aujourd’hui nous exportons des milliers de conteneurs en partance de Casablanca pour plusieurs continents dont évidemment l’Afrique, le bassin méditerranéen et l’Asie, entre autres.
Concernant le régime sucrier, quelles sont vos propositions au gouvernement sur ce sujet?
Nous n’avons pas de propositions particulières, ce que nous souhaitons c’est qu’il y ait de la concertation avec les opérateurs et ce quelle que soit la décision prise. J’entends par les opérateurs, les agriculteurs et nous les transformateurs pour prendre en compte toutes les contraintes liées au développement du secteur. Il y a beaucoup d’idées dans ce sens et cela va dépendre du choix politique qui sera fait. La question est de savoir si on veut continuer à soutenir l’agriculteur seul ou on veut soutenir l’agriculteur et une partie des consommateurs à faible revenu. En tant qu’opérateurs et en tant aussi que professionnels, on s’est préparé, on a mis en place tout ce qu’il faut qui relève de notre champ d’action, à savoir la compétitivité, l’amélioration de la méthode de production. Tout ce qu’on souhaite c’est qu’il y ait une concertation, si une solution est mise en place, qu’elle soit progressive et applicable, et qu’elle garde les acquis. J’entends par les acquis, les investissements que l’Etat marocain lui-même avait entamés entre les années 60 et les années 80 pour construire le secteur sucrier. Les acquis c’est également l’expérience acquise par tous les agriculteurs qui travaillent à la fois sur la betterave et la canne. C’est une dualité qui est une particularité essentielle. Là où vous avez la canne et la betterave vous avez tout un développement agricole qui se fait autour. Les betteraviers ce sont des agriculteurs, des producteurs de lait, ce sont aussi les meilleurs céréaliers et les meilleurs sélectionneurs. Quand vous travaillez sur les céréales après la betterave vous avez des rendements spectaculaires. Il y a donc tout cet écosystème qu’il faut prendre en compte afin de mettre en place les solutions adéquates.
Quels sont les prochains défis pour le secteur sucrier au Maroc ?
D’abord c’est réfléchir sur l’amélioration de la performance et consolider cette performance. Il faut également aller vers la modernisation de nos modes de production, aussi bien sur le volet agricole que sur celui de la transformation. C’est sur ces aspects que nous avons les plus grands défis à relever. Dans le même sens, on doit aussi améliorer davantage les méthodes de production et nos méthodes de gestion. Nous sommes sur un élan d’amélioration continue.
Quelles sont vos attentes pour cette deuxième édition ?
Le plus qu’on peut espérer de cette édition, c’est d’abord mettre en avant les potentialités immenses du continent africain pour le secteur sucrier. Pour pouvoir les faire révéler il y a la volonté des opérateurs publics et privés. Et là je voudrais mentionner l’initiative triple A qui a été lancée par notre pays à l’occasion de la COP22, qui met en place un ensemble d’outils et d’instruments pour accompagner les projets agricoles pour mieux les préparer à l’adaptation aux changements climatiques. Le ministère de l’agriculture a initié des efforts importants dans ce sens. La deuxième idée qu’on souhaite mettre en avant, c’est le lancement du réseau sucrier mondial. On a l’ambition d’être à l’origine de la mise en place d’un réseau mondial du secteur sucrier pour réfléchir ensemble sur tout ce qui a trait à l’action d’adaptation aux changements climatiques. Etant donné la forte exposition du secteur sucrier aux aléas climatiques, l’idée de la constitution de ce réseau est importante pour l’avenir du secteur dans le monde. Nous avons également besoin de la mise en place d’outils d’échanges d’expériences entre les différents opérateurs afin de partager les idées et les mettre en application.
Propos recueillis par Leila Ouchagour
(Journaliste stagiaire)