Ils sont au nombre de neuf, les Offices régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA), censés promouvoir l’activité agricole dans les grands périmètres irrigués du Royaume dans les régions de Doukkala, Gharb, Ouarzazate, Souss-Massa-Drâa, Malouya, El Haouz, Tadla, Tafilalet et Loukous. Au total, quelque 500.000 hectares et treize barrages se trouvent sous leur giron. Les textes qui les ont créés ont spécifié leur situation d’établissements publics financièrement autonomes, placés sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des Pêches maritimes et qui sont responsables de la planification et de la gestion des ressources en eau à usage agricole, de la conception, la construction et la gestion des périmètres de grande hydraulique. Des missions qui reviennent aux directions provinciales d’agriculture en dehors des zones d’action des ORMVA, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de petits et moyens périmètres d’irrigation. Mais de ces missions, les offices n’en remplissent de nos jours que très peu. Et pour cause, la Politique d’ajustement structurel que le Maroc a connu dans les années 80 a sérieusement limité leurs prérogatives.
« Actuellement, ces offices ne remplissent qu’une seule tâche, celle d’organiser l’irrigation dans les périmètres concernés. De grands outils étatiques pour mener la politique agricole de l’Etat, ils sont devenus de simples vendeurs d’eau », estime l’économiste Najib Akesbi. Chaque Office régional de la mise en valeur agricole assure donc des prestations d’irrigation au profit des agriculteurs contre le paiement d’une taxe de consommation selon le tarif déterminé par l’Etat pour le mettre cube. Un tarif qui diffère d’une région à l’autre. La grille des tarifs dressée par l’ORMVA d’El Haouz fait état de près de quatre dirhams le m3 alors que dans la région de Souss-Massa-Drâa est facturé entre 0,20 et 0,60 dirhams le m3. Ces montants sont considérés comme des créances publiques, lesquelles sont régies par les dispositions de la loi de la mise en valeur agricole promulguée le 25 juillet 1969 et la loi n° 15-97 portant code de recouvrement des créances publiques. «C’est un problème qui s’est posé depuis les premières années de création de ces offices. Le recouvrement ne s’est jamais effectué à 100 %. Vers la fin des années 80, les créances étaient telles que la décision a été prise pour les recouvrir. Ce qui a effectivement été le cas lors des trois ou quatre années qui ont suivi. Mais cela n’a pas duré. La situation d’antan a vite repris le dessus et la plupart des offices croulent actuellement sous les dettes», explique un économiste. «Pour accélérer la cadence des recouvrements, il n’existe pas 36.000 solutions. Il faudrait commencer par instaurer chez l’agriculteur la culture de paiement spontané des prêts dans les délais impartis. Alors que dans de nombreux périmètres irrigués se trouvent de grands agriculteurs qui se croient au-dessus des lois », estime pour sa part un directeur d’office ayant requis l’anonymat. Même l’engagement de procédures d’injonction de payer à travers le recours aux mécanismes légaux comme la mise en suspension du service d’irrigation, l’opposition auprès des tiers, la saisie et l’emprisonnement ne les poussent pas à s’acquitter de leurs dettes.
Résultat : Les offices croulent sous les dettes et n’arrivent pas à faire face aux besoins d’investissement en infrastructures d’irrigation notamment. L’exemple de l’ORMVA de Doukkala est édifiant à ce sujet. L’office d’El Jadida est ainsi la victime de la raréfaction des ressources naturelles, financières et humaines.
L’augmentation des salaires du personnel de l’office et son budget d’entretien ne sont pas pour arranger les choses. Les difficultés proviennent également de la raréfaction des retenues aquatique à cause de la succession des années de sécheresse durant les deux dernières décennies, ce qui a débouché sur une chute de 60 % de la quantité des eaux distribuées.
L’office de Doukkala a essayé de remédier à cette situation de déficit financier en procédant à l’augmentation des surfaces irriguées, qui sont passées de 61.000 à 96.000 hectares, soit une hausse de 57 %. Il a également été procédé à la diminution de 5 % du budget destiné à la gestion et de 15 % de celui des ressources humaines. Le budget alloué aux moyens de transport a, de son côté, diminué de 35%. Mais ce n’était pas suffisant si l’on sait, par exemple, que les besoins relatifs aux entretiens des équipements hydro-agricoles ont nécessité une enveloppe de plus de 600 millions de dirhams. De ce fait, ces organismes publics se trouvent dans l’incapacité de s’acquitter de leur première mission d’équipement des périmètres irrigués.
La conséquence de cette situation est loin de faire honneur à un pays dont l’économie se veut agricole. Le gaspillage atteint en effet son paroxysme si l’on sait que près de 130.000 hectares de terres irrigables ne sont équipées en canaux et autres infrastructures d’irrigation et donc non irriguées.
L’exemple cette fois-ci vient de la région de Gharb où l’ORMVA irrigue à peine une quinzaine de milliers de hectares alors que la surface dominée par le barrage Al Wahda est de l’ordre de 100.000 de hectares.
Alors que les problèmes financiers s’accumulent, les dépenses ne diminuent pas. 85% des budgets de ces organismes publics sont engloutis par la masse salariale.
Le seul ORMVA du Gharb par exemple emploie 1440 personnes. Autre exemple, le personnel chargé de la vulgarisation agricole au sein des différents ORMVA du Royaume est de l’ordre de 1.900, dont près du quart sont des ingénieurs. A présent que cette mission est tombé dans les oubliettes, ce personnel se trouve pratiquement en chômage technique.
Un simple tour aux sièges de ces offices permet d’avoir une idée sur le nombre de cadres, ingénieurs et techniciens, qui occupent un bureau alors qu’ils ont été recrutés pour encadrer les agriculteurs nationaux.
La politique d’encouragement au départ volontaire menée ces mois-ci par le gouvernement marocain ne les a pas concerné au début. Le tir a été recadré par la suite au grand dam des syndicats qui sont convaincus qu’il s’agit plutôt d’un plan social ayant pour objectif une diminution drastique des coûts de fonctionnement des offices.
Les prérogatives ne sont plus les mêmes, mais ce n’est pas le cas de leurs budgets qui n’ont pas cessé d’augmenter. Ces organismes continuent d’être très budgétivores. Pour la seule année 2005, le total des subventions qui leur ont été accordées par le ministère de l’Agriculture a atteint 603 millions de dirhams. Pour le seul office d’El Haouz, ce budget a atteint 109 millions, suivi de celui du Loukouss (97 millions), du Gharb (82 millions), de la Malouya (67 millions), de Souss-Massa-Drâa (63 millions), et de Ouarzazate (62 millions). « C’est un grand gâchis».
Le terme est lâché de la part d’un expert de l’économie agricole au Maroc, Najib Akesbi en l’occurrence. La réforme est un impératif. Plus que jamais, l’organisation des missions et des rôles des ORMVA doit être revue. Un projet de loi est d’ailleurs en gestation. Il a été annoncé, il y a de cela quelques semaines, de la part de Mohamed Mohattane, secrétaire d’Etat chargé du Développement rural. Ainsi, les ORMVA seront appelés à étendre le champ de leurs interventions aux zones “bour” en plus des zones irriguées. Ces terres sont longtemps restées le parent pauvre de la politique de valorisation agricole. Il est grand temps que cela change.