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Rachid Tahri : «L’émergence des champions nationaux reste le maillon faible»

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Rachid Tahri, président de l’Observatoire marocain de la compétitivité logistique (OMCL)

ALM : La crise sanitaire a été une épreuve difficile pour tous les secteurs d’activité. Comment s’en est sorti le secteur de la logistique?

Rachid Tahri : Malgré la situation économique défavorable, il faudrait signaler tout d’abord que l’état de l’approvisionnement assez satisfaisant qu’a connu notre pays pendant la période de confinement et qui a permis de satisfaire les besoins de la population d’une manière efficace et sans rupture de stock sur l’ensemble des produits de première nécessité était principalement dû à notre secteur logistique qui continue à faire preuve de sa position stratégique pour notre société. Par contre, et à l’instar des autres secteurs économiques, celui de la logistique a, également, subi les effets causés par la propagation de la Covid-19 ayant montré des fragilités qui risquent de s’inscrire sur le long terme, et menacent directement la capacité des chaînes logistiques à faire preuve de résilience face à des chocs pareils. A ce niveau, les entreprises de petite taille, qui constituent la majorité du tissu national des opérateurs logistiques au Maroc dont la faiblesse financière a été pas mal de fois signalée, ne résistent pas probablement à la crise sanitaire actuelle causée par le Coronavirus, malgré les mesures d’atténuation des effets de la crise sur cette catégorie d’entreprises et surtout si ce choc se maintient dans la durée.

Quelles sont les principales failles qui ont été dévoilées par cette conjoncture ? Et à combien s’élèvent les pertes engendrées par cette crise sur l’ensemble des branches du secteur ?
Pour commencer, je ne dirais pas des failles, mais un état de fait que malheureusement plusieurs pays ont subi après le déclenchement de cette crise sanitaire. Je m’explique : la fermeture des frontières comme mesure pour le contrôle de la propagation de la pandémie, pour ne citer que cet exemple, a causé une rupture de la chaîne de valeur mondiale, notamment en ce qui concerne les marchandises (produits finis et matières premières) en provenance de la Chine. Donc un arrêt cardiaque du cycle d’exploitation de plusieurs secteurs, ce qui a causé une diminution «forcée» d’activité, et le moins que l’on puisse dire, est que ceci a engendré principalement une absence de liquidité pour les entreprises et des pertes d’emploi, voire la faillite de celles-ci. Le secteur du transport et de la logistique a subi forcément les mêmes conséquences excepté l’approvisionnement en ce qui concerne les produits de première nécessité (alimentaires et médicaux). À ce niveau, l’Observatoire marocain de la compétitivité logistique a mené une enquête d’évaluation d’impact de la Covid-19 sur le secteur de la logistique au Maroc sur le 1er semestre 2020. L’objectif escompté est de quantifier les impacts causés par cette crise sur le secteur de la logistique.

En se basant sur les entreprises ayant répondu à notre questionnaire, on a constaté que le chiffre d’affaires a connu une chute au 1er semestre 2020. Il a, en effet, baissé de 22% par rapport au 1er semestre 2019. Au niveau de l’emploi, ces entreprises ont baissé leurs effectifs au 1er semestre 2020 de 4% par rapport à la même période en 2019. A mon sens, bien que l’Etat ait mis en place des mesures, à savoir la prise en charge de certaines charge sociales et fiscales ainsi que les différents programmes type Damane Oxygène et Damane Relance pour pallier l’insuffisance des trésoreries, il faudrait encore des efforts et des programmes spécifiques pour appuyer les entreprises du secteur du transport et de la logistique surtout les petites et moyennes entreprises qui ont été les plus impactées par cette crise.

Après une année du déclenchement de la Covid, peut-on dire que l’activité reprend à un rythme normal ou bien faudrait-il encore du temps pour rattraper le temps perdu ?
Vu le caractère transversal du secteur, la relance dépend bien évidemment des autres secteurs d’activité constituant ses donneurs d’ordre. A cet effet, une relance des activités économiques aura ainsi un impact encore plus positif sur le secteur de la logistique et c’est ce qui est bien confirmé par l’enquête menée auprès des prestataires logistiques. Bien que la moitié des professionnels enquêtés reste incertaine quant à la relance du marché du transport et de la logistique, 31 % d’entre eux sont optimistes quant à la relance contre seulement 18 % qui estiment le contraire.
La logistique marocaine est dotée d’une feuille de route long-termiste. Quel bilan d’étape faites-vous de la déclinaison de la stratégie ?
Le dernier bilan d’étape de la stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique a montré un taux de déploiement très faible qui se situe à 14 %. Plusieurs objectifs non atteints pour cause du retard enregistré au niveau des chantiers des zones logistiques. Malgré ce retard, le Maroc a connu une évolution considérable de l’offre en installations logistiques selon les standards internationaux grâce aux nombreux investissements des secteurs public et privé dans la construction des bâtiments et infrastructures logistiques.

C’est ainsi que plusieurs zones logistiques ont vu le jour dans les différentes régions du Royaume dont notamment la 1ère tranche de la zone de Zenata (28ha) et la 1ère tranche de la zone de Mita (20ha) sur Casablanca et la zone Medhub (30 ha) sur Tanger. L’AMDL prévoit prochainement l’amorçage d’autres projets de zones logistiques au niveau surtout d’Ait Melloul, Ras El Ma,… En termes de développement du tissu des opérateurs du secteur, le marché national a connu depuis 2010 l’installation de nombreux groupes internationaux et un développement significatif des opérateurs marocains. Plusieurs opérateurs 3PL (3ème partie logistique) présents sur le marché marocain proposent une offre intégrée de prestations logistiques couvrant notamment le transport, l’entreposage, la préparation de commandes et d’autres opérations à valeur ajoutée. Globalement, la multiplication des opérateurs dans le marché marocain et la diversification de l’offre de prestations de services logistiques ont eu un impact positif sur l’attractivité de l’économie nationale. Néanmoins, l’un des principaux 5 axes de la stratégie, celui de l’émergence des champions nationaux et le développement des transporteurs pour devenir logisticiens, reste le maillon faible qui handicape l’avancement de cette stratégie. L’Etat et le privé doivent se pencher rapidement sur cet axe par la mise en place de vrai levier.

Quels sont les leviers à activer dans ce sens pour adapter l’activité logistique à la nouvelle donne imposée par la Covid ?
Les perspectives de développement sont incertaines et il sera crucial de disposer d’une logistique flexible et évolutive pour s’adapter aux tendances du marché en constante évolution. La pandémie, Covid-19 a apporté des changements forcés en matière d’automatisation dans l’espace de travail, d’accélération de la transformation numérique de plusieurs années. Les entreprises du secteur ont plusieurs leviers de développement, notamment au niveau de la modernisation des points d’interaction dans les chaînes d’approvisionnement en s’appuyant sur les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies.

Le Maroc dans sa vision a misé grand sur la conception de plates-formes logistiques. Dispose-t-on aujourd’hui d’une réelle offre logistique au Maroc qui répond pleinement aux besoins des opérateurs ?

Au Maroc, une avancée importante a été réalisée ces dernières années dans le développement des infrastructures de transport et de la logistique dont notamment l’immobilier logistique qui représente une composante relativement récente du patrimoine des entreprises. Ces dernières années ont permis d’observer une transformation en termes de maturité des opérations logistiques exigeant une flexibilité des opérations et donc des infrastructures modernes et adéquates. La stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique vient accompagner cette transformation et rendre l’offre adéquate à la demande, notamment au niveau de l’immobilier logistique. A ce jour, le développement de l’immobilier logistique se heurte principalement à la cherté du foncier. Sur le périmètre urbain, c’est encore pire, le foncier se fait de plus en plus rare et cher. L’essor de ce maillon logistique reste tributaire d’une forte et réelle implication et appui de l’État pour garantir l’investissement privé dans le développement de l’immobilier logistique à travers les plates-formes logistiques viabilisées avec des prix très encourageants et des mécanismes flexibles qui pousseraient les logisticiens à s’installer dans ces zones.

L’élément humain est également placé au cœur de cette vision. Quelles sont les nouvelles exigences des métiers logistiques ?
Le secteur du transport et de la logistique, vu sa transversalité, doit toujours anticiper les mutations imposées par les autres secteurs dans le contexte de crise ou autre. Pour une bonne adaptation à ces demandes, l’élément humain est au cœur de la réflexion. Pour ce faire, il faudrait que les formations dans les métiers du transport et de la logistique incluent les soft-skills adéquats au contexte. Aussi, ces formations doivent comprendre la composante digitale qui est l’un des piliers des métiers de l’avenir.

A-t-on les outils nécessaires pour mettre sur le marché des profils qualifiés et agiles en termes de logistique ?

Bien évidemment, nous avons élaboré notre vision pour avoir des profils qualifiés sur le marché du travail liés au secteur du transport et de la logistique. Je cite, à titre d’exemple, la Stratégie nationale pour le développement de la compétitivité logistique, dont le secteur privé est signataire, qui a consacré un axe en entier au sujet des compétences dans le secteur. Après quoi, un projet visant la réalisation d’une étude sectorielle et l’élaboration des outils de planification et de gestion de l’emploi et de la formation du secteur de la logistique au Maroc a été réalisé par l’AMDL et a été mis à jour dans le cadre du programme «Tamheen». Ces projets ont préconisé un certain nombre de recommandations dont l’instauration d’une communication et une coordination permanente entre les organismes de formation et le marché de l’emploi pour une meilleure identification des besoins, l’encouragement de l’alternance pour assurer un apprentissage des métiers bien structurés et adaptés (formation au milieu du travail par la GIZ).

Il s’agit aussi de mettre en place un Board national des formations en logistique pour une meilleure coordination entre les différents acteurs de la formation dans les métiers de la logistique et ainsi assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande en profils logistiques ainsi que l’élaboration de répertoires emplois/métiers (REM) et de référentiels emplois/ compétences (REC). Il faut également les mettre à jour de façon périodique afin de synchroniser les profils formés avec les tendances et la demande des marchés national et mondial.

Un dernier mot….

En guise de clôture, je tiens à souligner que des efforts considérables ont été conduits pour le développement des infrastructures du transport et de la logistique au Maroc à travers des programmes ambitieux tels que la Stratégique nationale pour le développement de la logistique et les projets réalisés ou programmés pour le volet infrastructures portuaires, néanmoins il y a lieu à viser d’autres aspects, notamment la mise en place de zones logistiques de rang mondial avec des prix benchmarkés à l’international et le développement davantage de programmes d’appui et d’accompagnement au profit des petites et moyennes entreprises du secteur, surtout après les dégâts causés par cette crise sanitaire. Par exemple, il faudrait aujourd’hui penser à inclure un appui spécifique post-Covid dans le programme PME-Logis.

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