Editorial

Abdallah Laroui et Hassan II

On sort de la lecture du livre de Abdallah Laroui, « Le Maroc et Hassan II, un témoignage », complètement harassé, lessivé, voire  très fatigué. D’abord parce que c’est un livre dense qu’il  faut, vraiment, lire et non, vaguement, parcourir. Ensuite, techniquement le bouquin n’est pas très réussi. Au-delà de la complication du sujet et de la qualité d’écriture de notre historien, les caractères sont trop petits. Comme si pour lire Abdallah Laroui, il fallait absolument souffrir.
Mais revenons à l’essentiel. Abdallah Laroui est un historien connu et reconnu. Mais, dans ce livre on ne sait plus s’il fait l’Histoire ou s’il la refait. Les deux postures sont légitimes, quand elles sont annoncées honnêtement, et se croisent fatalement quand l’historien nous donne à lire des mémoires comme un carnet de bord très personnel. N’empêche que, dès le départ, on ressent un malaise.
On se rend compte rapidement que ce n’est pas de Hassan II et du Maroc qu’il s’agit, mais bel et bien de Laroui et de Hassan II. Le professeur corrige une copie d’épreuve d’Histoire à un élève, certes brillant, mais qui présente manifestement des failles dans son raisonnement. Le ton est docte, la démarche pédagogique et la critique souvent juste mais parfois sévère. Le seul élément qui pondère tout cela, c’est que l’on découvre assez vite que le professeur n’est pas tendre, non plus, avec lui-même. Cela devrait nous rassurer, mais, franchement, on ne l’est pas.
Les pointes d’amertume, de dépit ou d’aigreur que l’on ressent chez l’auteur transmettent en permanence une forme d’angoisse chez le lecteur. Une punition magistrale de 240 pages. Abdallah Laroui fait une démonstration, au demeurant éclatante, sur nos échecs. Notamment, celui de la modernité face à la re-traditionnalisation du pays. Nos ratages, l’instauration très tôt d’une authentique monarchie parlementaire. Nos rendez-vous manqués, comme une vraie alternance au début des années 60. Et nos faiblesses, comme, par exemple, celles de la gauche marocaine et des nationalistes qui se sont résignés à des postures contre productives et obstinées contre un monarque qui occupait chaque once de terrain cédée par le protagoniste.
Le Hassan II, un Roi ambivalent, oscillant entre une modernité qu’il appréhendait avec de solides bagages intellectuels et personnels, et une tradition dont il savait tirer tous les avantages pour gouverner est bien croqué par Laroui. Le Hassan II le diplomate – surdimensionné par rapport à son pays – qui sait tirer avantage d’abord de son talent personnel, ensuite de l’intelligence des situations  est bien analysé. L’analyse de Hassan II qui est bien quand il est Roi du Maroc et moins bien quand il se met dans la posture de Zaïm oriental est recevable par le lecteur. La description d’un Hassan II qui ne traite qu’avec des groupes, Zaouia, Chorfa, métiers, corporation, familles  ou assimilés et jamais avec des individus est également bien sentie. Pour abréger et vous donner l’envie, ou le courage, d’aller lire Abdallah Laroui dans le texte, le parallèle fait entre Ahmed Réda Guédira et Abderrahim Bouabid et la description de leurs funérailles respectives sont vraiment assez justes et inspirés.
Maintenant, en guise de conclusion, deux jugements de valeur qu’ autorise ma qualité de lecteur qui a été, laborieusement, jusqu’au bout du récit.
Premièrement, si Abdallah Laroui considère qu’il n’a pas eu, sous Hassan II, le destin qu’il méritait, il a, probablement, raison. Et nous déplorons le fait que le souverain défunt ait privé le Maroc d’une intelligence de cette envergure.  Mais peut-être que Hassan II  a eu cette attitude parce qu’il savait intimement que Abdallah Laroui était assez autonome et qu’il était capable de se rendre justice tout seul. Voilà qui est à présent fait avec ce livre, et de belle manière.  
Deuxièmement, la posture apparemment aisée, même si ce n’est qu’un témoignage, de l’historien qui est à la fois sujet et objet de l’Histoire brouille un peu les pistes et met en suspicion légitime le procédé. On ne peut exciper, à la fois, d’une autorité scientifique incontestable, par ailleurs, et d’un droit à la subjectivité, forcément humain. Dans ce cas-là, l’auteur peut facilement être exposé aux arguments d’un critique, certainement de mauvaise foi, qui estimerait qu’on ne refait jamais innocemment l’Histoire. Mais Abdallah Laroui est-il, vraiment, innocent ?

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