La classe moyenne est le véritable indicateur du développement d’un pays. De son niveau de vie, de son mode de consommation, de son engagement, de son assiette même dépendent en grande partie la croissance et l’évolution économique et sociale. On glose beaucoup sur la classe moyenne tunisienne qui serait choyée. On se lamente énormément sur l’algérienne qui aurait été sacrifiée depuis 25 ans. Et l’on s’inquiète énormément sur la marocaine qui serait en voie de disparition ou de paupérisation avancée. Avoir un salaire ou deux. Une voiture ou deux. Deux ou trois télévisions. Un ou deux enfants inscrits dans une école privée. Deux ou trois périodes de vacances par an. Un ou deux logements. Un budget de loisirs, d’habillement ou de voyage conséquent. L’accès aux soins et une bonne couverture sociale etc. Ce sont-là des signes qui ne trompent pas sur la vitalité de cette classe fort convoitée, justement, parce qu’elle est à fort potentiel économique et politique. Plus ce profil s’élargit dans la population, plus le pays est stable, tourné vers l’avenir et sûr de ses institutions et de son économie.
On a toujours dit que la classe moyenne marocaine était peu porteuse de modernité, de civisme et de patriotisme. Elle vient de démontrer, encore une fois, l’inverse sur un sujet extrêmement sensible. Nos rapports avec l’Espagne. Elle, qui par goût, par sanction de l’offre locale, par désir d’être servie et reconnue selon des standards professionnels, aimait aller passer ses vacances en Ibérie, elle a changé massivement d’avis. Pour les vacances de cette fin d’année c’est non.
Cette décision semble concerner, selon plusieurs sources, quelque 500.000 Marocains. C’est énorme et le chiffre est certainement minimisé. C’est la panique sur la côte espagnole. Les relances des hôteliers espagnols n’arrêtent pas. Tous les anciens clients sont harcelés au téléphone pour leur faire changer d’avis. La réussite n’est pas au bout du coup de fil. Une Espagne irresponsable, hostile, raciste, qui joue puérilement contre les intérêts et la souveraineté de son voisin du Sud n’intéresse plus les Marocains. C’est un fait qui est nouveau et remarquable. C’est l’expression d’une forme nouvelle de patriotisme. Plutôt Marrakech qu’Alicante. Et plutôt Fès que Malaga. C’est clair.
Maintenant, quelles leçons pouvons-nous tirer de cette nouvelle donnée ? Un. L’Espagne ne doit plus croire qu’elle peut prendre nos dirhams et nous cracher en même temps sur la figure. C’est évident. Deux. De la bonne santé de notre classe moyenne dépend radicalement l’évolution économique et politique du pays. Il faut le redire. Trois. Nos opérateurs de tourisme, et les autres, aussi, doivent prendre plus au sérieux les clients marocains. C’est une nécessité absolue.
Cependant, il reste une remarque. Les trois- quarts des médecins, des architectes, des ingénieurs, avocats, professeurs d’université, des artistes, des écrivains, des jeunes entrepreneurs, des dentistes, des cadres, des pharmaciens, et même des chefs d’entreprise ne font plus partie, chez nous, depuis longtemps, de cette fameuse classe moyenne. Ils ont été happés par la paupérisation. Il faut qu’ils y reviennent vite. Voilà un autre projet politique, en ces temps de floraison partisane, qui vaut bien un bon réveillon.