La télévision publique tunisienne — un mastodonte de la pensée unique autoritaire — n’a pas pu sauver le régime de Ben Ali de l’effondrement. Sous les coups de boutoir d’Al Jazeera, une arme de destruction massive, d’Internet et des réseaux sociaux, la citadelle médiatique de Ben Ali s’est effondrée comme un château de cartes. C’est le sort de toutes les citadelles de ce genre qui vivent hors du temps, hors de la modernité et, surtout, hors de la démocratie. Le peuple tunisien voulait voir à la télévision sa propre vie et non une représentation de celle-ci triturée, filtrée, maquillée de manière aussi caricaturale qu’inutile. Le peuple, selon un principe universel de proximité, voulait voir ses propres informations, son vécu, sa propre réalité, et non des considérations éthérées sur les performances d’une technocratie gouvernante dont l’objectif caché est de tuer dans l’œuf toute aspiration à une démocratie réelle. Finalement, le peuple tunisien, auquel la mondialisation de l’information a offert des canaux d’information de substitution, savait tout et était conscient de tout. Le dispositif médiatique du régime finissant n’a trompé, en dernier lieu, que ses propres promoteurs déconnectés du réel. Ils ont fini par croire à leurs propres balivernes et autres sornettes. Ils en sont morts. L’on voit bien, chez nous, que nous sommes au milieu du guet. Nous sommes exactement au milieu du chemin. Entre un modèle qui vient d’être condamné à Tunis et les modèles — la démocratie est toujours plurielle — de certains pays nouvellement intégrés à l’UE qui ont su s’adapter aux exigences modernes de la liberté d’expression sous toutes ses formes. Ces derniers ont revu leur législation, réécrit leurs codes, consolidé les pratiques déontologiques, créé des cadres économiques adaptés, développé un vrai marché de la communication, régulé les monopoles et les concentrations, etc. Ils l’ont fait. Nous pouvons le faire aussi. A mi-chemin, il nous faut juste un effet de bascule. Un petit coup de pouce pour que l’on bascule vers l’avenir. Un vrai service public de l’information et de télévision professionnel contre toutes les idées dangereuses et contre-productives de pôle, de containment ou de contrôle. Un secteur de la presse libre, autorégulé, créatif, responsable et émancipé, de toutes les tentatives «monstrueuses» qui sont aujourd’hui en marche — une vraie mise en coupe réglée économique en amont et en aval — pour réduire le pluralisme, le débat d’idées et pour installer la médiocrité populiste. Nous devrions nous ressaisir. Et il n’est pas trop tard. Maintenant, il y a un truc auquel nous n’allons pas échapper. C’est la prochaine émission Hiwar de Mustapha Alaoui — toujours pas à la retraite au risque de mal finir une si longue carrière — dans laquelle il va nous expliquer «fraîchement» les ressorts de la révolution du Jasmin. Ils vont le faire, croyez-moi. Chez nous, à la télé, ils ne doutent de rien !