Ce qui se passe en Algérie et en Tunisie — des émeutes violentes, incontrôlées et sans revendications politiques claires — peut arriver à n’importe quel pays du Maghreb. Y compris au Maroc. La seule différence spécifique qui peut marquer tel ou tel pays face à des crises paroxystiques de cette nature : sentiment d’injustice, de hogra, de marginalisation, de paupérisation, d’absence de liberté, etc. réside dans la légitimité qu’a le pouvoir. Plus le pouvoir est perçu comme étant illégitime, plus la crise est violente et sans issue. A défaut d’une réponse basée sur offre politique claire, la gestion strictement sécuritaire ou technocratique ne fait qu’aggraver les choses. C’est le cas manifestement de l’Algérie, — un pays riche dont les inégalités sont entretenues institutionnellement par une économie de rente — où le modèle de société, de vie en commun, s’est effondré depuis près de vingt ans sans qu’aucune alternative politique viable n’émerge. Le statu quo maintenu par le pouvoir militaire a verrouillé le champ politique et a monopolisé les institutions à son seul profit et au profit de sa clientèle. Jusqu’à quand ? Ce modèle ne semble plus avoir d’avenir. En Tunisie, la situation semble différente. L’état tunisien a montré qu’il sait créer la croissance — là aussi le pays n’est pas pauvre — mais, au final, il apparaît moins performant, et moins efficace, dans la gestion des mécanismes de redistribution. Malgré l’existence d’une classe moyenne notable, les poches d’exclusion existantes sont devenues intolérables aux yeux des Tunisiens. A cela s’ajoute, un facteur aggravant, le sentiment que l’état n’est pas impartial notamment sur le plan économique. Par ailleurs, le coût de la stabilité politique tunisienne, personne ne veut plus le payer en terme de réduction durable du champ des libertés : l’exigence de liberté apparaît, désormais, plus impérieuse que la nécessité de la stabilité. Sur ce point, le consensus implicite du passé n’existe plus. Au Maroc où les tensions sociales existent, aussi, sporadiquement, la problématique n’est pas la même.
La monarchie par le consensus qui l’entoure — le Souverain a consolidé ce consensus depuis le début de son règne — a tranché historiquement la question de la légitimité du pouvoir. Mais cela ne veut pas dire que des problèmes n’existent pas : redistribution, filets sociaux, chômage, moralisation de la vie publique, affaires de corruption, renforcement des libertés, de l’Etat de droit etc. Mais la recherche des solutions se fait, grosso modo, depuis 60 ans, dans un cadre pluraliste politique et syndical, et plus récemment encore, avec l’intervention d’une société civile organisée consistante. Cela veut dire tout simplement que là où il y a des structures de médiation, d’intercession, politique et sociale, qu’offre la possibilité d’une vie démocratique basique, les solutions peuvent être recherchés autrement. Ce qui est le plus frappant en Algérie et en Tunisie, aujourd’hui, c’est que la surchauffe sociale, faute justement d’outils de médiation, ne s’accompagne pas de revendication politique. C’est le plus inquiétant pour l’avenir car pour instaurer un dialogue, il faut être deux.