Il ne faut pas que les évènements tragiques que vivent nos voisins donnent lieu, chez nous, au moindre motif d’autosatisfaction. Ça serait puéril et dangereux. Les évènements de cette nature sont le produit objectif de situations sociales précises. Là où ces situations sont caractéristiques, là où les conditions sont réunies — quand tous les clignotants basculent en même temps au rouge — l’explosion sociale est programmée. Prenons quelques thèmes au Maroc et examinons les rapidement. L’emploi, surtout des jeunes, l’habitat, les soins de santé, l’éducation, le cadre de vie, la lutte contre l’exclusion. Tous les curseurs concernant ces thématiques vitales ne sont pas à la même hauteur. Pas au même niveau. Loin de là. Peut-on considérer, aujourd’hui, que le gouvernement prend suffisamment au sérieux ces questions et qu’elles soient bien traitées ? Peut-on, également, dire que la gouvernance de toutes ces questions s’est améliorée sur le plan local ou sur le plan national ? Peu probable. Quand on cumule durablement des réponses négatives à ces questions, on se donne un rendez-vous précis avec la colère. Le reste est une question de temps : 1965, 1981, 1984, 1990, 2008, 2010. Que cela soit à Casablanca, Fès, Al Hoceima, Sidi Ifni ou à Laâyoune, le moteur de la révolte est connu. Ce que l’on peut dire, aujourd’hui — et là notre gouvernement est malheureusement aphone — clairement, d’une manière audible, c’est que nous sommes conscients de nos insuffisances dans ces matières socialement explosives et que nous agissons en conséquence. On ne le dit pas. La faiblesse du discours politique actuelle est en train de préparer — comme chez nos voisins — le lit des graves malentendus de l’avenir. La focalisation sur la politique politicienne est en train de détruire doucement le lien social. La non réponse, véritable, à la question urbaine — l’abandon de nos villes sous-équipées et leur livraison à des mafias électorales — prépare le chaudron dans lequel bouillent à haute température les émeutes de demain. La situation est grave car le monde est devenu grave.
Le Maroc s’est donné une petite avance ces dernières années en s’accrochant de toutes ses forces à une démocratisation parfois chaotique mais réelle. En choisissant franchement la liberté malgré de rares régressions craintives. En construisant une vraie stratégie d’ouverture économique malgré son coût. Et en élaborant un vrai, mais difficile, projet de développement humain. Ce Maroc-là ne doit pas obérer cette avance par un «sous-développement» — un sous investissement — politique qui limite nos chances de réussite, qui gaspille nos énergies et qui peut à terme constituer une menace contre notre projet de société. De tous les pays du Maghreb, on l’a toujours dit, le Maroc a choisi la voie la plus difficile, mais la seule, l’unique, pour préparer l’avenir, celle de la construction de la démocratie en rejetant tous les raccourcis faciles et les solutions factices. Il nous faut continuer dans cette voie, avec audace désormais, pour immuniser notre société contre toutes les formes d’aventure.