La fuite de Ben Ali n’est pas glorieuse. Après avoir perdu le contrôle de la situation et avoir fait des concessions, à contretemps, inutiles, il s’est sauvé comme un voleur. Son cas va devenir un cas académique des régimes autoritaires qui s’effondrent sous la pression populaire. Autisme du pouvoir qui perd toute notion de réalité, confiscation des libertés, destruction de la classe politique, casse de la société civile, contrôle des médias, mise sous tutelle des forces économiques au profit d’intérêts illégitimes, etc. Le schéma est connu et c’est le raffinement de ce même dispositif répressif qui, finalement, se retourne contre le pouvoir autoritaire. La boucle est bouclée. L’explosion est assurée, et le régime tombe. Un pays ivre de sa liberté, et de sa dignité, retrouvées se lance à corps perdu dans l’aventure sans alternative politique construite. Aujourd’hui, la Tunisie en est là, face à un avenir qu’elle doit inventer. Elle est face à la construction de la démocratie dont elle doit «domestiquer» la grammaire. L’enjeu le plus important dans l’immédiat est d’empêcher tous les processus extrajudiciaires de revanche et règlement de compte qui mèneront inéluctablement à l’instabilité et à la libération durable d’une violence généralisée. Sans un minimum de sécurité des biens et des personnes, il sera impossible de construire quoi que ce soit à Tunis. Les haines sont tellement épaisses, les frustrations sont tellement denses, et l’ivresse de la rue face à sa propre force est si grande que la transition tunisienne ne va pas être un long fleuve tranquille. Ben Ali est parti mais l’essentiel de son régime demeure. Son démantèlement prendra du temps. Tous les appareils de l’ancien régime, y compris sécuritaires, sont toujours fonctionnels. Les désactiver tous en même temps plongera, sans conteste, la Tunisie dans une crise de gouvernance durable. Que faire alors? Tous les enjeux de la transition sont là. Comment liquider le passé selon les normes internationalement en vigueur en restant dans le cadre d’un État de droit ? Et, aussi, comment bâtir le présent sur des critères démocratiques universellement admis sans disposer d’une classe politique nouvelle immédiatement opérationnelle ? La révolution du jasmin va être amenée assez rapidement à justifier son appellation. Mais faisons confiance à l’ingéniosité légendaire du peuple tunisien !