Le problème posé par Nadia Yassine à l’État marocain est simple dans sa nature. Elle s’est rendue coupable d’un délit dont la sanction est prévue par le code pénal. L’application du droit dans cette affaire ne pose aucun problème juridique d’autant plus que l’intéressée assume ses propos attentatoires aux institutions constitutionnelles du pays. La justice tranchera et c’est la moindre des choses dans un État qui se veut respectueux du droit.
Sur le plan politique, par contre, l’affaire Nadia Yassine fonctionne autrement. Elle repose sur la binarité. Comme les propos incriminés sur la «république islamique» reposent sur la provocation – c’est une attaque frontale contre le régime marocain ayant une valeur de test – il est attendu de l’État marocain de se définir par rapport, justement, à cette provocation.
Et c’est là où réside la binarité. Si la réaction de l’État marocain est «zéro» – après tout, un État n’est pas tenu de répondre systématiquement aux provocations – il participe à la banalisation dangereuse d’un discours qui fait peu de cas de la loi, notamment fondamentale du pays, et consolide par cette posture la dérive «fasciste-vert» d’une organisation intégriste. C’est le début d’un nouveau processus dont l’issue est non seulement dangereuse pour les institutions constitutionnelles mais aléatoire pour l’avenir du pays.
Si la réaction, au contraire, est «un», c’est-à-dire la répression par la loi d’un délit caractérisé et assumé par son auteur, l’État prend le risque de faire, à son corps défendant, de Nadia Yassine une victime emblématique et de son mouvement un chaudron nihiliste réceptacle de toutes les provocations. Cette option nécessite de la part des pouvoirs publics une maîtrise totale de la situation et une volonté, claire et affirmée, d’aller jusqu’au bout dans l’application de la loi et de la défense des institutions. Un message de fermeté définissant une ligne rouge constitutionnelle non négociable au-delà de laquelle tous les protagonistes de la vie publique quel que soit leur statut, leur nature ou leur légitimité devront assumer leurs responsabilités.
Maintenant, d’aucuns peuvent penser que l’on peut sortir de cette fatalité binaire par la négociation avec ce mouvement interdit, quitte à détruire davantage l’image de la justice marocaine. C’est envisageable, car après tout, en politique, on ne négocie qu’avec ses adversaires et jamais avec ses amis. Seulement cette négociation suppose un certain nombre de conditions.
D’abord l’adversaire doit être d’accord. On voit mal comment un mouvement qui représente le bien absolu négocierait avec un État qu’il veut détruire et qui incarnerait, selon lui, le mal absolu. Cela ne peut se faire sans préjudice considérable pour «l’idéologie» même de ce mouvement.
Ensuite, pour l’État marocain, Il faudrait qualifier cet adversaire. Qui est-il ? Quel est son statut ? Quelle est sa légitimité ? Si on n’a pas un certain nombre de cartes en main, on ne peut pas s’inviter à une table de négociation. Négocier avec Al Adl Wal Ihssane, c’est lui reconnaître d’emblée la valeur de ses cartes et lui reconnaître le fait qu’il a installé un rapport de force en sa faveur qui le qualifie dans le jeu politique marocain.
Il va falloir, par la suite, et ce n’est pas le plus simple, déterminer ce qu’il faut négocier et ce qui est négociable. Deux points essentiels sont au cœur de la logorrhée des gens d’Al Adl Wal Ihssane et ils constituent,
désormais, clairement le fonds de leur commerce. Le refus d’Imarat Al Mouminine, et le rejet de la nature monarchique du régime marocain. Ces deux points sont, par ailleurs, le socle sur lequel est construite la Constitution marocaine. Seront-ils à l’ordre du jour ? Si, finalement, l’objet de la négociation est de mettre un projet moderniste et démocratique majoritaire à l’aune d’un projet obscurantiste et illuminé minoritaire, il faut, si cela est sérieux, que les négociateurs nous disent à quel niveau se fera la synthèse.