Editorial

Hommage à la technocratie

© D.R

La cote des technocrates est en hausse. Depuis la nomination de Driss Jettou, les technocrates ou ceux qui se prétendent comme tels frétillent des neurones. Après une parenthèse expérimentale de cinq ans, voilà que l’on reparle d’eux. Arrière les politiques, par ici les technocrates. Gouvernez, gouvernez-nous, on se fie religieusement à votre gouverne parce que vous avez la légitimité du savoir, de la compétence et de l’infaillibilité. Mais au fait, chez nous, qui est technocrate ? Une bonne question que personne n’a jamais osé poser, que nous posons – parce que nous, nous sommes aussi des briseurs de tabous – et à laquelle nous allons donner une réponse scientifique.
Avec 60% d’analphabètes dans notre pays, est technocrate toute personne ayant le niveau attesté ou équivalent du certificat d’étude primaire. Voilà, ça fait du monde, mais ça console. Et ça ne vous fâche avec personne.
Sur le plan politique, cette définition vous réconcilie largement avec la démocratie. Les technocrates, eux, sont obligés d’admettre le bien-fondé de la démonstration et les partis politiques sont heureux.
Toutes nos formations politiques, presque toutes, deviennent, tout à coup, peuplées de technocrates en abondance. La légitimité politique et la compétence absolue réunies sous l’égide de la démocratie. Quel miracle ! Avant cette démonstration, un ingénieur engagé dans un parti politique était un pauvre type, un autre sans appartenance politique était, lui, un génie pur. Il y avait comme une maldonne. Mais tout ça est à présent réglé. Un pauvre type, c’est un pauvre type, qu’il soit ingénieur ou pas, militant ou pas. La qualité intrinsèque de pauvre type, grâce à notre approche scientifique du problème, transcende, fondamentalement, tous les autres attributs, souvent acquis.
Maintenant, pour élargir insidieusement le débat, quand on demande à un philosophe de nous définir la technocratie, il est clair. J’ai alors posé la question, hier, lors d’un dîner intellectuel très restreint, à Sidi Moumen, à André Comte-Sponville. La réponse a été sans ambages : «Le pouvoir de la technique, ou plutôt des techniciens. C’est une forme de barbarie qui voudrait soumettre la politique et le droit à l’ordre techno-scientifique : tyrannie des experts. On y parvient insensiblement, dès qu’on veut que les plus compétents gouvernent ou décident. Contre quoi il faut rappeler que la démocratie non seulement n’en a pas besoin mais l’exclut : ce n’est pas parce que le peuple est compétent qu’il est souverain, c’est parce qu’il est souverain qu’aucune compétence ne saurait, politiquement, valoir sans lui ou contre lui. Les experts sont là pour l’éclairer, non pour décider à sa place.»
Sur ce, j’ai avalé ma corne de gazelle de travers et une angoisse diffuse a commencé à contrarier le destin digestif du tagine aux pruneaux que je venais de finir. Plus jamais de dîner intellectuel et plus de question aux philosophes. C’est trop dangereux. Tu commences à disserter gentiment sur les technos et tout à coup, tu reçois un coup de poing dans l’estomac. Non, mais…

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