Editorial

La théorie de la poutre

Le 3 mai de chaque année est consacré à la Journée mondiale de la liberté de la presse. On y est. Alors, bonne fête. Et on n’en parle plus. Fermons nos gueules et ouvrons une parenthèse. La liberté de la presse se porte bien au Maroc. C’est un fait. Aujourd’hui, mieux qu’hier, et moins bien que demain. Le reste est une question de société. Une société qui se cherche, sans toujours se trouver, qui se construit en faisant pas mal d’auto-démolition, qui se modernise en se salafisant un peu plus chaque jour et qui s’ouvre doucement aux pratiques démocratiques en se barricadant de temps à autre derrières des postures régressives et franchement réactionnaires ou nihilistes. La presse est le miroir de cette société. Un miroir intraitable à double face (!).
Sur le plan professionnel, le secteur pédale en roue libre. Chacun fait ce qu’il peut ou ce qu’il veut en pensant être le meilleur inter pares. Nous sommes à ce jour –mais, cela va s’arranger –  le seul pays au monde où la presse n’est pas soutenue en tant que secteur politiquement et socialement vital. La presse est considérée plus comme un mal nécessaire ou subi qu’un acteur essentiel de la vie démocratique.
Les pouvoirs publics, les partis politiques, les entreprises privées, les corps constitués ne savent pas encore comment se comporter d’une manière professionnelle et assumée avec une presse libre. Ils veulent les avantages sans les inconvénients. Plus le cirage de pompe que la critique. Plus la dissimulation que la révélation. Plus le papier laudatif que l’enquête sérieuse. Plus la connivence que la dénonciation. Ils sont comme ça. Et après ils viennent pleurer sur l’amateurisme ou le sous-développement de notre presse. La poutre est dans leur œil.
Les attachés de presse du privé ou du public ne se lamentent plus sur la publication d’une fausse info, mais sur une vraie info qu’il ne fallait pas publier car elle heurte leurs intérêts bien compris. La communication supplante le journalisme par le truchement de l’arme publicitaire. C’est le propre d’un pays arriéré que des hommes de pouvoir, de tous les pouvoirs, s’estiment être plus «évolués» que  les quidams-citoyens, dont, finalement ils tirent leur peu de légitimité.  
Maintenant, la pratique journalistique marocaine elle-même n’est pas exonérée de critiques. Mais ne comptez pas sur moi pour faire le sale boulot. A chaque fois qu’un avocat véreux, qu’un pharmacien trafiquant, qu’un promoteur immobilier criminel, qu’un haut fonctionnaire corrompu, qu’un médecin commerçant, qu’un directeur de clinique multirécidiviste de l’erreur médicale, qu’un haut cadre de banque initié jusqu’à la moelle, qu’un politicien dégoûtant, qu’un fraudeur patenté du fisc et j’en passe, me fait la leçon sur le journalisme au Maroc, je me marre doucement.
Dans un pays où pratiquement tous les métiers sont sinistrés ou vérolés, ils ramènent leurs fraises pour revendiquer un journalisme idéal qui, s’il existait vraiment, ils seraient tous en taule par la force de la loi. Le journalisme marocain est marocain. C’est-à-dire qu’il se soigne comme tout le monde. Il n’est ni plus ni moins glorieux, parfait ou exemplaire que nos pratiques collectives indigentes qui ont fait de ce pays ce qu’il est aujourd’hui.
Et pourtant, notre métier avance. Il se professionnalise, il se structure et il joue de mieux en mieux son rôle. Aucune exception ne pouvant constituer la règle, c’est pour cela que nous «assumons» les écarts déontologiques et les naufrages éthiques des nôtres, quand ils sont vraiment des nôtres, en serrant les dents et en se disant que c’est le nouveau prix à payer pour écrire une nouvelle page de notre Histoire. Sinon on n’a jamais vu une maman jeter son bébé avec l’eau du bain. Jamais.

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