Editorial

Le pain noir

© D.R

Comme d’autres pays nagent dans le sucre, le Maroc, lui, nage dans la farine. Toute la filière est malade. Du champ de blé au boulanger, en passant par la minoterie et les importations. Le foutoir est généralisé. Pour agrémenter le tout, nous entretenons un Office du blé, une survivance administrative du gosplan et une législation complètement cinglée.
Au commencement, il y a la subvention du blé. Par les temps libéraux qui courent, c’est une bêtise monumentale, coûteuse pour les finances de l’Etat, qui ne sécurise plus, depuis longtemps, ni la filière, ni les paysans, ni les industriels. Au contraire, elle crée un climat nocif dans lequel prospèrent, depuis de nombreuses années, toutes sortes de margoulins, qui se font justement pas mal de blé. La chronique du blé au Maroc relève plus du fait-divers rocambolesque que de l’activité normalisée d’un secteur économique décisif.
Quand la récolte est bonne, on perd de l’argent. Pour soutenir les prix de la farine et par conséquent le pouvoir d’achat des producteurs, les subventions publiques se mettent en branle. On se retrouve avec un prix local supérieur au marché international et un marché noir assez florissant. Une affaire, quand même, de 2 milliards de dirhams de subvention. Quand la récolte est mauvaise, on ouvre les vannes de l’importation. Là, les importateurs s’en donnent à coeur joie, mais comme les règles du jeu ne sont ni permanentes ni claires, les zones d’ombre permettent à des «indélicatesses», pardon pour l’euphémisme, plus ou moins graves, de prospérer au détriment du fisc et de la douane. L’argent, bien sûr, n’est pas perdu pour tout le monde.
Par exemple, les observateurs attendent avec intérêt l’issue cette semaine du procès que la douane a intenté à la société Cerelex pour des sommes importantes non rapatriées qui se sont égarées, notamment en Suisse.
Ce système est foncièrement mauvais. Les minotiers eux-mêmes, spécialement les plus clairvoyants parmi eux, fatigués par des années de suspicion, de harcèlement administratif et d’une guérilla judiciaire permanente, réclament la suppression de la subvention des prix de la farine et son remplacement, à l’européenne, par une aide directe aux paysans-producteurs. Une manière de se défaire définitivement de cette épée de Damoclès qui les menace.
De l’autre côté de cette filière, on trouve l’encadrement du prix du pain. Ce dispositif, aux prétentions sociales affichées, ruine les boulangers modestes. Et tout glissement officiel des prix fait revivre le souvenir cuisant des émeutes du pain de 1981. Aucun gouvernant ne peut dans ces conditions dormir tranquille.
Avec tout cela, on ne peut pas continuer à chanter le libéralisme, le libre-échange et les zones franches. Ce n’est pas sérieux. Il va falloir l’expression d’une véritable volonté politique pour mettre à plat courageusement ce système et neutraliser sa charge explosive. Sinon, il finira bien par exploser tout seul. Le dernier ministre de l’Agriculture qui a bien compris ce système a commencé – et c’est finalement intelligent – par créer sa propre société d’importation de blé et à envoyer devant la justice son premier concurrent, un grand minotier de la place, qui est devenu, depuis, la figure emblématique d’un secteur dont l’image est durablement salie.
Voilà un dossier, urgent pour le pays, qui doit permettre au Premeir ministre, s’il trouve en lui-même les ressorts nécessaires, de faire briller toutes les qualités dont ses amis les moins zélés le créditent.

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