Editorial

Les limites du discours

© D.R

La lettre piégée envoyée par des terroristes à notre confrère Al Ahdath Al Maghribia sonne comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu azur. Le coup de tonnerre, c’est pour les consciences endormies, qui, sous le prétexte fallacieux de mettre en avant une posture politiquement correcte, transigent par leur silence et, parfois, par leur lâcheté avec la culture de la haine criminelle. Le ciel bleu azur est à l’image d’une société qui, par ses attitudes conciliantes, veut oublier le 16 mai, voire nier son existence pour ne plus avoir peur de ses peurs. La lettre piégée d’ Al Ahdath Al Maghribia est une piqûre de rappel. Elle veut dire nous sommes toujours là. Notre volonté meurtrière est toujours totale et entière. Notre projet obscurantiste et criminel est toujours d’actualité. Et notre haine est toujours plus forte que toutes vos gesticulations. Et nous, que dit-on en retour ? Non à la haine ! Halte au terrorisme ! Et ne touchez pas à notre pays. C’est bien, mais une sensation de dérisoire, assez forte, est bel et bien là, même si on en ignore justement la cause. Est-ce que le 16 mai a révolutionné notre société ? Est-ce que depuis cette date, on fait de la politique autrement ? Nos partis politiques fonctionnent-ils mieux ? Notre prise de conscience des drames sociaux qui se nouent dans nos villes et nos campagnes est-elle plus forte ? Avons-nous collectivement pris acte de la nécessité de la transformation de notre société pour l’immuniser contre l’intégrisme religieux et la terreur qui lui sert de signature politique sanguinaire ? Nos télévisions nous accompagnent-elles dans cette oeuvre de mobilisation vitale contre le terrorisme sous toutes ses formes ? On peut prendre le temps de réfléchir aux réponses à ces questions, qui peuvent sembler inutiles ou marginales. Sauf que les gens d’en face, eux, cela fait longtemps qu’ils ont arrêté de réfléchir. Ils agissent. Depuis les évènements de Casablanca, et bien à notre aise de bénéficier – pour combien de temps encore ? – d’un répit terroriste, nos interrogations ont pris un autre chemin. Est-ce qu’au Maroc la lutte contre le terrorisme ne produit pas une dérive sécuritaire qui menace la démocratie naissante ? Cette question, aussi intelligente et légitime soit-elle, nous induit malgré tout, en erreur. La lutte contre le terrorisme devient un danger pour la démocratie. Le terrorisme, lui, est apparemment exonéré de tout risque anti-démocratique puisque, nous pouvons au moins le supposer, il est la négation même de la démocratie. Alors, de quoi s’agit-il ? On ne sait plus rien tellement la confusion habite les esprits. Nous sommes dans la situation de ceux qui doivent apprendre en même temps à lutter contre le terrorisme et à bâtir une démocratie que celui-ci, par définition, menace. Ce n’est pas facile, tellement nos acquis dans les deux domaines peuvent sembler, en apparence, réversibles. Or, le problème c’est que l’opinion publique marocaine est plus encline – à tort ou pas, peu importe – à créditer l’Etat marocain – c’est-à-dire nous-mêmes – d’une culture sécuritaire que d’une culture démocratique. Cela donne un paradoxe assez remarquable. Ils sauront garantir notre sécurité parce qu’ils savent historiquement le faire, mais, dans la foulée, ils peuvent aussi nous confisquer – dans une forme de compétence, tout aussi historique, liée à la première – notre démocratie. C’est très bien ! Mais à l’excès, bien sûr, ce raisonnement peut faire, à la limite, apparaître un terroriste moins dangereux pour la démocratie que le fonctionnaire marocain chargé par la loi de le combattre pour garantir notre sécurité. Nous touchons-là, bien évidemment, les limites du discours anti-sécuritaire, même quand il est, ce qui est assez rare, de bonne foi. On voit bien, avec ce paradoxe, le chemin qui nous reste à parcourir pour construire un Etat de droit et une démocratie capables de se défendre contre le terrorisme. Mais, auparavant, c’est la confiance qu’a une société dans ses valeurs, dans ses choix et dans ses projets qu’il faut construire. Le terrorisme se nourrit bien de la misère, nous sommes du même avis, mais d’abord, il germe, éclôt et naît de la défiance.

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