Editorial

Les martyrs du feu

© D.R

Deux hommes, l’un dans les bras de l’autre, sont morts calcinés. Ils ont été retrouvés noirs comme du charbon. Des humains transformés par le feu en minéral. Pourquoi sont-ils morts ? Pour sauver leur usine. Pour sauver leur ville. Pour sauver des vies humaines. La catastrophe de la Samir a fait deux victimes : les deux carbonisés. Ceux qui ont tout donné, leur vie, pour que des milliers d’habitants de Mohammedia ne soient pas mangés par le feu. Ces deux martyrs du feu ont sauvé combien de personnes par leur courage ? mille personnes, dix mille, vingt mille, cinquante mille, cent mille ou plus ? Seul Dieu le sait.
Maintenant comment s’appellent-ils ? Où vivaient-ils ? Combien avaient-ils d’enfants? Que font leurs femmes ? Ont-ils de quoi vivre désormais ? Qui va veiller à l’éducation des orphelins du feu. On n’en sait rien. Cela ne mérite ni Jamour, ni émission de télévision, ni hommage solennel, ni décoration. Personne ne veut savoir, personne ne veut honorer, publiquement, le courage. Ce n’est plus une valeur dominante. Dans un pays comme le nôtre, on ne célèbre plus que l’esbroufe, les escrocs et les imposteurs. Il n’y a plus de place pour les authentiques martyrs, ils gênent tout le monde par les vraies valeurs qu’ils véhiculent.
Autre séquence. Des centaines de pompiers sont alignés devant le feu qui ravage la Samir. Equipés, mobilisés, le torse bombé dans une posture fière mais un peu dérisoire devant le danger : ils attendent un ordre, un seul. Celui de leur capitaine pour prendre d’assaut la citadelle de feu au risque de leur vie. Ceux qui ont assisté à cette scène rapportent que nos pompiers ont eu peur. Naturellement. Comme des professionnels, conscients du danger de leur travail.
La peur a duré un dixième de seconde. Juste un frémissement du temps. Un presque rien, dense et total, dont se nourrit l’Histoire. Et, ils sont partis à l’abordage du paquebot de flammes, d’acier et de sang. Aucun d’eux n’avait la garantie qu’il pouvait revenir. Les gros réservoirs pouvaient exploser à chaque moment comme autant de bombes folles. Il fallait y aller ! Un point c’est tout . Un aller sans retour. Et ils ont réussi à vaincre au péril de leur vie. Qui les a honorés ? Qui en a parlé ? Qui leur a rendu un vrai hommage public et solennel ? Personne. Ce sont là des histoires qui n’intéressent plus personne chez nous. Le patriotisme, la bravoure, le courage, le don de soi, l’amour de son pays ne sont plus cotés à la bourse des valeurs humaines. Non on célèbre les truands, les traîtres et les vendus. On leur trouve des vertus et des qualités. C’est l’époque qui veut cela, dit-on ! Sale époque.
Un hélicoptère de l’armée marocaine s’est abattu accidentellement du côté d’Ifrane. Huit militaires marocains des Forces royales air sont morts. Ils n’étaient pas en goguette. Ils sont morts dans l’exercice de leur fonction. Qui sont-ils ? Ont-ils des enfants ? Que vont devenir leurs familles ? Quelle est la valeur de leur exemple ? Personne n’en parle. Comme si les accidents ne devaient pas être assumés et qu’ils devaient fatalement être cachés comme une opprobre. Un enterrement express. Nos n’avons entendu ni sonnerie aux morts, ni chants funèbres, ni vu de décorations posthumes. Des gestes patriotiques et pédagogiques de cette nature ont été oubliés. C’est normal dans un pays où les voyous tiennent désormais le haut de pavé (Voir la chronique Aujourd’hui le Makhzen de Bachir Hajjaj page 40 ).
L’honneur et la dignité s’accommodent à présent chez nous au quotidien avec la forfaiture, la trahison, et la lâcheté. Que Dieu nous vienne en aide !

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