Editorial

Les six doigts d’une main

L’affaire de l’intoxication alimentaire de médecins dans un hôtel à Casablanca est doublement significative. Un, de l’état de notre hôtellerie. Deux, de l’état de nos médecins. Je m’explique. Combien de médecins, sains et en bonne santé,  faut-il pour dix millions de touristes intoxiqués ? Autrement, où des médecins en goguette, certainement aux frais d’un labo, peuvent-ils encore aller déjeuner sans remettre en question le plan Azur ? Plus précisément, quel hôtel peut encore recevoir des praticiens en règle avec leur conscience, mais chahutés dans leur transit  sans s’exposer aux foudres de l’Ordre des médecins ? La question est vraiment complexe.
L’agression que viennent de subir nos valeureux toubibs est à l’hôtellerie ce que l’erreur médicale est à la médecine, c’est-à-dire un accident regrettable. Certes. Mais faut-il, pour autant, absoudre le patron de l’hôtel sous prétexte qu’Hippocrate et son sermon  pour lui, c’est plus ou moins une nuitée ? Ou plus ou moins 1% du taux de retour ou 0,5 % du RBE (résultat brutal d’exploitation). Ou, mieux, plus ou moins – pour en finir –  un B&B&B (le lit, le petit-déjeuner et la nana, bitch en anglais).
Ah, vous pouvez me rétorquer, perfidement, que le taux de retour dans le cas d’une erreur médicale fatale est de zéro. J’admirerais votre rhétorique en souriant, malicieusement, mais je vous ferais remarquer, quand même, que je n’ai jamais vu un patient victime d’une erreur médicale s’en vanter après son décès. Souvent, sa famille, elle-même, n’est pas peu fière. Elle paie à la caisse de la clinique le reliquat d’espoir qu’elle avait -le patron, en général, est très sourcilleux sur sa comptabilité personnelle –  elle emballe «l’erreur», hèle un taxi blanc, achète un carton de 12 litres de Sidi Ali, et s’en verse l’eau sur le ventre des membres de la famille qui ne croient plus aux vertus de la science quand celle-ci devient très libérale. Je ne me moque pas. Mais je ne flatte pas non plus. Je suis solidaire des médecins intoxiqués. Je flétris l’hôtelier coupable.
Cependant, je garde, pour moi, mes préjugés, ils sont faits pour cela. Ironiser sur un boucher qui dîne de navets n’est pas mon fort. Je préfère tirer sur des ambulances. Ce n’est pas glorieux, mais le risque est moindre. Briser des tabous ? Je ne peux pas, il y a des techniciens pour ça, et ils le font très bien. T’as pas un tabou qui traîne ? Non, je n’en ai plus. Le dernier, je l’ai brisé la semaine dernière. Je suis vachement emmerdé, je dois livrer demain et je n’ai rien à briser. Alors, prends un congé et arrête de nous les briser. Fin de la digression.
Vous comprenez, maintenant, ma gêne. Des médecins intoxiqués par un taulier qui a de l’appétit, c’est encourager l’automédication. Quand ça ne fait pas la fortune des pharmaciens de quartiers, ça n’enrichit pas non plus le médecin de proximité, qui compte ses clients du mois sur les doigts d’une main. Même avec celle du chanteur nasillard Stati, ça ne fait pas l’affaire. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.     

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