L’espion qui m’aimait

Quand quelqu’un vous parle de la «Tjètte» d’un air pénétré et un peu mystérieux, sachez tout de suite qu’il veut vous parler de la D.G.E.D. La Direction générale des études et de la documentation, c’est-à-dire, pour faire court, les services d’espionnage marocain, en clair le Renseignement extérieur.
Mais la «Tjètte», c’est autre chose. C’est quand un ahuri veut faire l’intéressant. Il lâche le truc dans un murmure et baisse les yeux d’un air entendu par lui seul. Dans le genre paranoïaque, style les murs ont des oreilles, il n’ y a pas mieux. Le gars, il plombe une ambiance d’enfer avec cacahuètes et Fanta tiède juste pour faire le malin. La «Tjètte» par ci et la «Tjètte» par là et tout fout le camp.
Le citateur de la soirée arrête de citer, lui, qui s’est donné tellement de mal pour apprendre, la veille, ses platitudes dans un dico. Le raconteur de blagues s’arrête net et le bourreur de mou professionnel s’arrête de bourrer. Quant au dragueur, il met tout de suite son organe en berne.
Mais il ne faut pas être sévère, même les journalistes qui sont censés éclairer l’opinion publique avec le peu de lumière qu’ils en confondent tout. Dans un hebdo en vogue qui a tartiné comme il se doit sur la récente nomination de Yassine Mansouri à tête de la «Tjètte» confond allègrement, pour le bonheur de ses lecteurs, la mission de contre-espionnage qui, elle, est, normalement, dévolue à «la DiéSti» et l’espyounage qui, lui, revient à la «Tjètte». La mythologie plus l’inculture, plus un peu de nihilisme branché, plus un peu de journalisme calamiteux et le tour est joué. Un vrai remake de l’Espion qui m’aimait.
Un autre hebdo, celui-là en langue arabe, a poussé le bouchon un peu trop loin dans le comique de situation. La nomination de Yassine Mansouri à la «Tjètte» lui fait livrer trois analyses en même temps, toutes fondées sur trois hypothèses contradictoires, mais chacune, encore, reposant sur une source crédible et digne de foi. Quand on présente un papier comme ça, cela veut dire qu’au moins deux sources crédibles et dignes de foi sur trois ont bourré le mou à l’analyste en question.
1) Diminuer le rôle de l’armée. 2) Affirmation de la mainmise de Fouad Ali El Himma sur l’Intérieur après le départ de Yassine Mansouri. 3) Je «Tjètte» l’éponge car j’ai oublié. Non, ça y est, je me rappelle, maintenant, il s’agissait de virer, à la demande des Américains, le général Harchi, un hispanophile convaincu, et de le remplacer par un américanophile enthousiaste. Sachant que le général Housni Benslimane est, dans la même logique, déjà classé comme étant un francophile de vocation. Quant au général Hamidou Laânigri tout le monde sait que c’est un dangereux activiste de la Zaouia Boutchichia -Canal historique dont le siège, est dans l’Ohio.
Le type qui nous sert d’analyste, à vrai dire un peu allumé, nous vend, en quelque sorte, un rééquilibrage de forces entre les grandes puissances à la tête de l’État marocain. Et nous, dans tout cela, qu’est-ce qu’on fout ? Eh ben rien ! Le gars, lui, a tout compris d’un seul coup, cul sec. Il est des nôtres. En plus, il fanfaronne, il nous prévient : «Attention, mes trois hypothèses peuvent, toutes les trois, être vraies, compte tenu de la qualité de mes sources crédibles et dignes de foi !» Là, il faut être clair, la seule chose qui soit vraie dans cette affaire, c’est la connerie du gars.
C’est ça l’hypothèse de départ, c’est-à-dire zéro, qui dans son cas n’est plus, malheureusement, une hypothèse. N’en «Tjettez» plus la coupe est pleine. Appelez «la DiéSti !»