Editorial

Libérez Azziman

© D.R

Vous connaissez la dernière ? Elle court comme une traînée de poudre. Sauf votre respect, c’est avec un plaisir teinté d’amertume que je vous la raconte tout en demandant d’avance à note ami Abdeslam Ahizoune de bien vouloir nous excuser. Vous connaissez Maroc Telecom. D’accord. Vous savez que l’Etat y est toujours actionnaire. Bien. Vous savez ce que vous risquez si vous ne vous acquittez pas de votre facture. Non. Et bien, je vais vous le dire. Si le montant dépasse 25 000 dirhams, et en l’état actuel de notre législation, vous êtes passible de la Cour spéciale de justice.
Vous me diriez que Maroc Telecom est une SA. C’est bien, mais le CIH aussi. Vous me diriez que c’est uniquement une affaire commerciale. Bien. Les cadres du CIH ne traitaient que des affaires commerciales avec des clients qui, pour la plupart, sont normaux comme vous et moi. Vous pouvez rétorquer que ce ne sont pas des deniers publics. La définition de ces deniers est très vague, d’ailleurs les gars de l’association des minotiers paient durement, en taule, cette confusion. Là où l’État est actionnaire avec un dirham, tout devient de l’argent public, et tous les employés, les clients, les connaissances, les amis de passage deviennent par magie des fonctionnaires…et hop, menottes aux poings devant la Cour spéciale de justice.
Je ne suis pas en train de vous faire douter de la qualité de cette excellente entreprise, de vous dire qu’il faut rapidement privatiser Maroc Telecom ou de vous faire croire que téléphoner est un acte dangereux qui peut vous mener en cabane. Non, je vous dis tout simplement qu’en ne payant pas vos factures de téléphone, vous vivez dangereusement. On entend d’ici l’alerte téléphonique avec une voix très suave avertir les mauvais payeurs. «Votre facture du mois de mai d’un montant de 26 350 dirhams n’a pas été payée. Veuillez vous présenter librement et dans les meilleurs délais pour quitus au greffe de la Cour spéciale de justice, sinon un nouveau monde va vous appeler.»
Ce n’est pas drôle, n’est-ce pas ? Mais que voulez-vous, quand un garde des sceaux manque d’imagination, il fait non seulement passer son pays pour un état de non droit mais compromet durement les efforts sincères de modernisation, de justice et d’équité qu’entreprennent les pouvoirs publics, jusqu’au plus haut sommet.
Au lieu de trouver des solutions acceptables à son niveau, avec courage et abnégation, il botte en touche. Il refile la patate chaude, directement et sans vergogne, entre les mains du chef de l’État. Débrouillez-vous avec ça, semble-t-il dire. Moi, je ne veux pas de problèmes. C’est ce qu’on appelle le syndrome de la grâce royale. Moi, je charge la bourrique, pour la grâce, allez voir ailleurs. Alors, si c’est comme ça, pourquoi, lui, il est payé. En démocratie, un fusible qui ne pète pas est un fusible dangereux. Il peut être à l’origine de bien des incendies.
Libérez-les M. Azziman. Qu’est-ce que ça peut vous faire s’ils passent la nuit chez eux, avec leurs enfants : prendre une douche, un repas chaud…? Ils se présenteront toujours à votre juge exceptionnel pour répondre à ses questions tronquées. Quel plaisir avez-vous à augmenter inutilement la population carcérale avec les faibles moyens dont vous disposez alors que ces gens ne sont pas encore jugés? Leur liberté, en attendant un jugement équitable, en quoi peut-elle menacer l’ordre public? Et surtout ne nous faites pas le vieux coup un peu usé de : «Je ne peux rien faire, j’ai reçu des instructions». Il peut mener en taule et vous êtes censé, théoriquement, faire vivre la séparation des pouvoirs. Au fait, M. Azziman, pendant que j’y suis, avez-vous payé votre facture de téléphone ?

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