Le 29 juin 1992, Mohamed Boudiaf a été assassiné à la maison de la culture de Annaba en Algérie. L’Algérie s’en souvient aujourd’hui. Mais laquelle? Il ne faut jamais avoir la mémoire courte.
Fêter le 10 ème anniversaire du retour de Boudiaf en Algérie après, notamment, un long séjour à Kénitra au Maroc, est un événement qui mérite d’être mis en exergue.
Mais se souvenir toujours et sans faille des conditions de son assassinat est un devoir auquel on ne peut pas décemment se soustraire.
La plupart des Algériens épris de paix civile, de foi sincère et de bon voisinage considèrent que « l’histoire retiendra que Boudiaf demeurera l’un des plus grands symboles du pays ». Nous sommes d’accord avec eux car Mohamed Boudiaf était porteur d’une vision juste, constructive et éthique de ce que peut être son pays, de ce qu’il peut devenir, de ce que doivent être les relations entre les États maghrébins et finalement, et surtout, de ce que doit être une vraie fraternité maghrébine.
Ceux qui l’ont tué savaient tout cela. Ils sont toujours au pouvoir. C’est un fait central et indéniable sur lequel nous aurions aimé que le Président Abdelaziz Bouteflika soit plus explicite et fasse preuve, malgré les contraintes, de plus d’indépendance. On ne peut pas tuer un Boudiaf, un éminent symbole de l’Algérie contemporaine, porteur d’un idéal national sans que l’État, dans son expression la plus élémentaire et la plus basique, n’assume ses responsabilités.
Plus que tous les contentieux, plus ou moins graves, ou plus ou moins dangereux, qui peuvent surgir et perdurer entre l’Algérie et le Maroc, l’assassinat de Boudiaf restera une profonde blessure. Ceux qui l’ont assassiné tiennent toujours le pays, et le défunt Boudiaf, un homme solitaire, propre et sans résaux, ne représentait pas véritablement un danger pour eux. Ils pouvaient le border, à leur manière, sans l’éliminer. Ils en avaient le pouvoir. Mais ce qu’ils voulaient liquider, et c’est cela qui leur était insupportable, c’est que Boudiaf était porteur d’idées pondérées mais corrosives, simples mais déstabilisatrices, d’un projet national et régional humaniste et pacifique. C’est ce projet qu’il fallait tuer. Ce fut fait de la manière la plus abjecte qui soit dans la connivence générale par un officier chargé de sa protection. L’acte est lourd. Son sens est évident.
Il venait du Maroc. Il parlait de paix. De construction maghrébine. De respect du voisinage. Des problèmes factices, comme celui concernant le Sahara marocain, qui polluent les relations entre le Maroc et l’Algérie. Assez, cela était suffisant pour l’abattre. La haine s’est exprimée par la voix du feu. C’est cette haine-là qui empoisonne encore ce pays. Le seul antidote contre ce poison mortel ce sont les idées, nobles et généreuses, d’une vraie fraternité. Celles-là ne peuvent pas mourir car on ne peut pas tuer une idée féconde.