Editorial

Tonton, dessine-moi la pluie

© D.R

La visite de Jacques Chirac est sympathique à plusieurs égards. D’abord sur le plan personnel, ce gars est sympathique. Il signifie la France, celle qui est attachante et qui ne laisse pas indifférent, par tout son être. Il est incontestable que Jacques Chirac est un Français. Plus proche d’une fameuse «certaine idée de la France» avec ses bons côtés, ses travers, ses frilosités, ses manquements, ses hardiesses, sa générosité ou son universalité que des stéréotypes dominants dans la sphère dite moderne et bien pensante de l’Hexagone d’aujourd’hui. Jacques Chirac est une pensée unique à lui tout seul. Car, lui, il ne chasse pas en meute. Il a pour lui une espèce d’autosuffisance gauloise qui l’exonère des raouts internationaux auxquels certains s’accrochent pour exister. Sa structure personnelle la plus achevée doit-être, me semble-t-il, quelque chose comme l’Association des petits maires de France à la croix de bois. Ensuite, et au-delà de ces aspects personnels, sa visite ressemble pour ce qui concerne le Maghreb à une tournée des popotes familiales. Tunisie, Algérie, Maroc ce sont des pays qu’il connaît très bien. Qu’il connaisse exactement l’état des relations bilatérales entre son pays et les pays de l’Afrique du Nord est une chose qui relève de son travail et de ses compétences, mais qu’il pousse la connaissance intime des dossiers jusqu’à les moduler en cernant les conjonctures, les caractères spécifiques, les différentes couches d’amitié historiquement superposées, et les enjeux du moment, ça c’est le talent particulier de président français dans le domaine international. Un plus indéniable pour la France que le Maroc apprécie à sa juste valeur.
Maintenant, l’amitié qu’a Jacques Chirac pour le Maroc et la profonde affection qu’il porte à son Souverain ne sont un secret pour personne. L’évocation de ce fait est même devenue une figure de style obligée pour tous ceux qui veulent saisir rapidement et d’une manière entendue, et conventionnelle, la relation entre les deux pays.
Mais la visite de Jacques Chirac au Maroc dans la conjoncture régionale et internationale actuelle peut revêtir plusieurs significations.
D’abord, c’est un président français en campagne électorale. Qu’il serre des mains à Bab El Oued, à la Goulette ou à Agdal, quand c’est relayé par plusieurs dizaines de journalistes qui font partie du voyage et que c’est transmis par les télévisions à 20h, on ne peut pas dire que ce n’est pas de la bonne promo. C’est le président candidat à sa propre succession qui s’épanouit en direct dans son domaine réservé « constitutionnel » que sont les Affaires étrangères. Je gère. Ne vous inquiétez pas. Ensuite le président français est le président d’un pays en guerre. Contre le terrorisme certes, mais en guerre en terre d’Islam sous l’oeil angoissé des Musulmans du monde entier et le regard ténébreux et ahuri des Arabes qui se trouvent être, pour la plupart, des Musulmans, aussi.
Ce n’est pas rien. La visite de Jacques Chirac, au Maghreb pour être large, peut alors paraître comme une forme d’explication, de justification ou de reformulation de l’action de la France pour éviter les malentendus, auprès des Arabes les plus proches, historiquement et géographiquement, de ce pays. Les plus domestiqués, aussi, ou les plus «sensibles» aux sorties internationales de la France.
Visiter le Maghreb après les attentats du 11 septembre, après l’intrusion fracassante de Oussama Ben Laden sur la scène tragique internationale, et ce, pendant que la guerre d’Afghanistan continue, relève effectivement plus d’un voyage de plaidoyer dans le domaine de la politique internationale que d’une approche conventionnelle strictement bilatérale.
La seule chose que Chirac aurait pu apporter au Maroc, c’est la pluie. Il ne peut pas le faire. Alors, maintenant, qu’il puisse, sans pluie, donner un coup de main pour sortir les relations maroco-espagnoles de l’impasse, qu’il puisse plaider pour la réussite de la dernière mouture du plan Baker pour le Sahara marocain ou qu’il intervienne auprès de l’UE pour une amélioration de notre statut ou de nos échanges commerciaux, c’est très bien. Mais un Tonton qui ne fait pas pleuvoir en abondance ne peut pas être parfaitement un vrai Tonton. Il lui manquera quelque chose.

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