Editorial

« Un juge au paradis, deux en enfer »

© D.R

Le message de S.M le Roi au Conseil supérieur de la magistrature conforte d’une manière plus qu’explicite et détaillée ce que notre pays peut attendre dans la conjoncture qu’il traverse, marquée par une transition vers la démocratie, d’un vrai Etat de droit.
Que le discours du Souverain mette le magistrat au coeur du droit marocain est un fait avéré et nécessaire à tout dispositif judiciaire normalisé qui se respecte. Mais qu’il place également le magistrat en fonction des vertus ou des qualités dont il doit faire état, et que la société appelle de ses voeux, comme le moteur d’une justice juste et équitable, est une responsabilité suprême que cette profession doit pouvoir assumer. Cela requiert, bien entendu, des aptitudes professionnelles et personnelles mais surtout des conditions objectives de l’exercice de ce métier, sans lesquelles la justice ne serait pas rendue.
L’indépendance du juge n’est pas une posture intellectuelle. Elle doit être la résultante d’une formation solide, d’un mode de vie personnel « éthique » soutenu par une rémunération honorable et suffisante , d’une organisation judiciaire cohérente et d’une gestion des carrières transparentes. L’indépendance, on le constate aisément, n’est pas un préalable désincarné ou éthéré, elle est plutôt le produit d’un système et d’une organisation. Or, toute mise en perspective de la notion d’indépendance du juge marocain bute sur le rapport que celui-ci peut avoir avec sa hiérarchie administrative, le parquet, voire, dans certains cas le ministre de la Justice lui-même ès qualités.
Est-ce que la promotion, la nomination, la sanction ou la mutation du juge marocain obéissent à un processus transparent et autonome susceptible de conforter cette indépendance tant louée et tant invoquée? On peut se poser sérieusement cette question et évaluer à l’aune de la réponse que l’on peut y apporter le chemin parcouru ou celui qui reste à parcourir. Et l’on remarquera alors que l’indépendance du juge ne peut exister, sans que le système lui-même ne soit immunisé contre les dépendances de toutes sortes.
Le message royal a fait appel aux valeurs éthiques et déontologiques qui doivent personnellement habiter le magistrat, soulignant ainsi le poids de la responsabilité individuelle dans l’accomplissement de cette tâche. La solitude du juge ne renvoie ni à un isolement culturel et social, ni à une coupure avec la vie politique et économique de la nation, ni à une forme de sacerdoce philosophique ou religieux, elle mobilise surtout la conscience de celui-ci et l’idée qu’il a de lui-même et de sa profession. Si la justice ou le juge ne disait que la loi, les sociétés se seraient contentées de distributeurs automatiques de jugements qui, eux ne connaîtraient ni les déviances, ni les tentations, ni les influences.
Or, le juge marocain est également, et surtout, le produit de son environnement et de son niveau d’évolution. C’est dans ce sens que le Souverain attend que les magistrats s’investissent d’une manière volontaire et volontariste, « totalement et loyalement », dans la consolidation de l’Etat de droit, en enracinant le principe de la primauté de la loi et de l’égalité des citoyens dans un esprit de fermeté, d’efficacité et de droiture. Quand les exigences d’une profession rencontrent, à ce point, les exigences d’une société, ce n’est plus de réforme qu’il s’agit, nous rentrons dans l’ordre de la mutation. Et notre pays n’attend pas moins que cela.

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