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Enseignement supérieur : Une rentrée universitaire bousculée, des étudiants décalés mais non recalés

© D.R

«Autre deadline qui risque de compromettre l’avenir de bien des étudiants de licence, celui lié à la date du concours des masters internationaux».

La rentrée universitaire, prévue le 15 octobre prochain, risque d’être un véritable casse-tête chinois pour les universités publiques. Et pour cause : les effectifs des facultés en accès libre qui affichent généralement complet après avoir inscrit 3.000 voire 4.000 étudiants, seront difficiles à gérer en présentiel. L’organisation en groupe butera aussi sur le nombre de salles, déjà insuffisant en temps normal dans de nombreuses facultés. Pire, les examens du second semestre pour les étudiants en licence reportés pour le mois de septembre n’ont pas encore été effectués. Compte tenu de l’accroissement des cas, notamment à Casablanca, les responsables penchent pour une session en ligne au grand désarroi des enseignants. Ces derniers ne connaissant pas leurs étudiants de manière personnalisée voient d’un mauvais œil ce système d’évaluation imposé par la force des choses… Comment peut-on évaluer à l’oral en ligne un étudiant que l’on n’a pas suivi toute l’année, que l’on ne connaît pas ? s’interroge, à juste titre, un enseignant sous couvert de l’anonymat. La réflexion va au-delà : pourquoi avoir attendu jusqu’au mois de septembre pour mettre en place des examens en ligne ?

Car il est clair aujourd’hui que les universités gèrent encore les problèmes de juin… Autre deadline qui risque de compromettre l’avenir de bien des étudiants de licence, celui lié à la date du concours des masters internationaux. Autre interrogation cette fois-ci par rapport au Bachelor qui devait être lancé cette année dans les universités. Aucune information ne semble filtrer quant à sa mise en place effective… Les enseignants n’ont pas été sollicités pour la préparation d’un quelconque contenu pédagogique dédié. Sur un autre registre, la fermeture des cités universitaires compromet, également, la rentrée de plusieurs étudiants puisque 60% des résidents sont issus du monde rural. Et ils n’ont pas d’autres solutions que ces lieux pour leur installation compte tenu du faible pouvoir d’achat.
Ce qu’il faut savoir aussi c’est que les universités sont gérées par un Conseil des facultés contrairement aux autres établissements d’enseignement. Totalement indépendant dans les prises de décision, c’est en effet ce Conseil, présidé par le doyen de l’université et comprenant des représentants des enseignants, étudiants et responsables administratifs qui devra trancher en fonction de la réalité sur la meilleure manière de faire pour lancer la rentrée prochaine.

De leur côté, les enseignants appréhendent un enseignement à distance qui ne permet pas d’atteindre l’ensemble des effectifs pour des raisons de logistique ou tout simplement de motivation de l’étudiant. D’autres, pas forcément habitués à l’usage des nouvelles technologies de communication, ne possèdent pas les outils nécessaires pour développer du contenu pédagogique en ligne de manière régulière. Car l’efficacité du e-learning repose sur l’agilité de l’enseignant et sa capacité à adapter l’ensemble de ses cours prévus en présentiel à ce mode innovant. Bref, les contraintes sont nombreuses. Et chaque université publique devra donc cogiter ses propres modèles pour effectuer cette rentrée. Les facultés ayant des effectifs dépassant les centaines, voire les milliers, renvoient à un enseignement à distance si l’on veut respecter les mesures d’hygiène et de distanciation imposées par la stratégie nationale.

Pour l’heure, le manque de visibilité est réel. «La préparation des contenus est très difficile vu l’absence d’une visibilité par rapport aux modes d’enseignement. A l’Université Hassan II Casablanca, le report des examens va impacter le calendrier et la préparation de la rentrée universitaire et risque de créer un décalage surtout pour les étudiants souhaitant postuler pour des masters dans d’autres universités nationales ou internationales. Il est primordial de former, équiper et motiver les professeurs pour qu’ils puissent proposer des contenus innovants, interactifs et adaptés aux nouvelles exigences», signale, justement, Amine Dafir, enseignant et chercheur au sein dudit établissement.

En son sein l’université comprend, par ailleurs, des écoles et des instituts qui compte tenu des effectifs plus réduits peuvent être gérés en mode présentiel. Tout ceci pour dire que chaque université aura à s’organiser en fonction de ses contraintes propres. La tâche est d’autant plus compromise avec un taux d’encadrement faible, notamment dans les facultés. Un enseignant pour 100 étudiants, c’est en effet le taux d’encadrement estimatif et avancé par les enseignants concernés (ndlr : toujours sous couvert de l’anonymat)…
Et si certaines universités ont lancé pour les nouveaux inscrits une pré-rentrée en ligne, les inscriptions effectives n’ont pas encore démarré concrètement. C’est le cas de l’université Mohammed V de Rabat (UM5) qui organise, pour les nouveaux étudiants, une série d’activités d’accompagnement et de sensibilisation à distance du 15 septembre au 15 octobre 2020. Placé sous le signe «Spécial rentrée pour une rentrée spéciale», l’événement a pour but d’accueillir les étudiants, les soutenir et les rapprocher du staff académique et administratif de l’Université. Le programme proposé porte sur les langues, le coaching, les soft skills et le sport ainsi que sur des rencontres «live» avec les étudiants de l’établissement. Pas de doute : les structures d’enseignement public s’efforcent à innover et aider les étudiants même si les moyens du bord sont limités. Il est clair que la tâche est plus simple dans les universités privées parce que les effectifs sont de loin moins importants. Les moyens financés par les frais de scolarité permettent également de se doter des meilleurs outils pour parer à l’éventualité d’un enseignement en ligne ou hybride selon l’évolution épidémiologique du moment (ndlr : avis de l’économiste Abdelghani Youmni).

La rentrée universitaire dans le secteur public sera difficile. Le présentiel représentant la meilleure formule sur le plan pédagogique. L’enseignement à distance ayant buté sur le faible taux de suivi des cours enregistrés. Les causes sont nombreuses. Elles sont liées directement ou indirectement à la précarité dans laquelle vit l’étudiant.
L’avenir quant à l’évolution épidémiologique donnera le la.
Pour l’heure, le flou guette. Mais la vie continue !

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L’avis de Abdelghani Youmni, économiste et enseignant-chercheur

La nécessité est la mère de l’invention…

La cohabitation avec le virus devient la règle, les mesures de distanciation sociale et le port du masque deviennent la norme. Cependant si la santé est un bien individuel précieux, la vie est une valeur suprême, triompher sur le coronavirus est aussi pouvoir gagner sa vie, continuer à apprendre, reconnaître que la solidarité intergénérationnelle doit aussi se faire des plus vieux vers les plus jeunes pour leur permettre de s’éduquer, de se socialiser, de se construire, de partager et de vivre. Faut-il hypothéquer toutes les dimensions de notre vie pour se préserver contre l’incertain ou lui livrer bataille ?
Sans faire d’hors sujet, et pour répondre à votre question fort intéressante sur les conditions de la rentrée universitaire 2020-2021, elle concernera cette année 250.000 nouveaux étudiants, un total d’un peu plus d’1 million d’étudiants dont 6% dans le privé, en plus de 1,7 million d’étudiants de la formation professionnelle et la formation des cadres.

Les étudiants auront le choix entre le présentiel et le distanciel et l’arbitrage se fera en fonction des disciplines, de la taille des promotions et des spécialités, peut-être aussi en fonction du degré de circulation du virus dans la région. S’il faut, à tout prix, éviter la multiplication des clusters au sein de l’université, il faudra aussi adapter les décisions à l’impact et à la propagation du virus dans telle ou telle région partout. Ajuster avec le nombre dans les territoires tout en gardant le même protocole sanitaire au niveau national. Raisonnons par l’absurde : imaginons que nous décidons de faire du présentiel à 100% alors que nos universités sont en surcapacité. Mettre 700 étudiants dans un amphithéâtre voudra dire, à coup sûr, des contaminations et des clusters.

La nécessité est la mère de l’invention. Sans Internet et sans les plateformes numériques nous n’aurions pas pu assurer la continuité pédagogique et la poursuite de la transmission des apprentissages. Pourtant à titre personnel, je ne suis pas défenseur de l’enseignement à distance à 100% mais plutôt du blend (hybride). Il nous sera, en effet, utile dans le brassage des compétences entre étudiants et professeurs du monde entier, en termes de transfert de technologie et de compétences sans mobilité physique. En même temps, rien ne pourra remplacer l’enseignant, pierre angulaire dans la construction de la citoyenneté, des valeurs civiques et morales, des réflexes de bienveillance et d’empathie. La technologie ne rendra pas les enseignants plus faibles imaginatifs, empathiques ou plus inspirants, plus capables de comprendre et de développer des compétences d’apprentissage cognitifs comme le travail collaboratif, l’altruisme ou la citoyenneté. Au final, la réinvention de l’éducation par la technologie des écrans ne pourrait totalement se substituer au socle commun des apprentissages dans l’émulation des humanités.

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