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Incivilité au travail: Le vide juridique entretient le phénomène…

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Entretien
Tarik Nazih, conseiller à la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, revient en détail sur le sujet. Après plus de 20 ans d’expérience à son actif, Tarik Nazih soutient bénévolement les immigrants dans leur processus de recherche d’emploi. La problématique d’incivilité dépasse les frontières. Au Maroc, le vide juridique ne facilite pas les choses. Eclairage de l’expert.

ALM : Comment définissez-vous l’incivilité au travail ?
Tarik Nazih : L’incivilité au travail fait référence à la violation des normes formelles ou informelles de respect et de considération socialement établies pour un vivre-ensemble harmonieux. Autrement dit, l’incivilité désigne tout comportement antisocial, bénin et délibéré ou non, non récurrent et se manifestant entre deux personnes au minimum peu importe le rapport de force qui les unit. Elle se caractérise par une intention souvent teintée d’ambiguïté.

Pourriez-vous déjà nous dire si ces cas de dérapage sont courants dans le milieu de travail ?
Ce dérapage s’explique notamment par l’absence d’une définition juridique de l’incivilité et d’une liste de ses manifestations. L’émergence de nouveaux gestes antisociaux, par-dessus tout l’incivilité place les collègues au cœur d’une dynamique interactionnelle dysfonctionnelle. Le développement de la résilience et de la tolérance en raison de la fréquence d’exposition alimente le phénomène. La méconnaissance ou le manque d’attention consciente par rapport aux torts subis favorisent aussi de tels dérapages. L’absence d’une évaluation négative de soi, l’ancrage d’une culture organisationnelle qui normalise, tolère et minimise les impacts d’incivilité expliquent aussi ce genre d’écarts. Enfin, l’absence d’une stratégie axée sur la santé et la sécurité des travailleurs parmi les priorités de l’employeur laissent place à ce phénomène.

Que prévoit la loi à ce niveau ?
Sur le plan de la jurisprudence, le législateur marocain, à l’instar de la France et du Canada, n’a prévu aucune loi pour régir l’incivilité organisationnelle. Cette absence juridique s’expliquerait par le fait que les comportements incivils sont perçus comme inoffensifs, sporadiques et bénins pour la dignité ou l’intégrité physique ou psychologique de l’individu, et ce, malgré leur popularité. En revanche, le harcèlement psychologique dans ces pays est à la fois prévu par la loi et encadré par les employeurs. L’objectif étant de sanctionner les acteurs et, de là, prévenir l’émergence des incivilités pouvant se transformer en harcèlement. De ce point de vue, le code du travail marocain, quant à lui, ne comporte aucune définition légale. Le législateur demeure étonnement passif quant aux manifestations comportementales.

Quelle est la procédure pour la faire aboutir ?
La popularité des incivilités et du harcèlement psychologique en milieu professionnel ainsi que l’absence des dispositions légales dans les codes du travail et pénal pour les encadrer aspirent à une réforme juridique des articles en question. En clair, de nouvelles législations régissant les comportements incivils et du harcèlement psychologique sont attendues.
Pour relever ce défi, le législateur devrait prévoir une définition large des deux concepts, à savoir : identifier leurs manifestations et les rendre passibles. Or, cette proposition comporte un enjeu social réel qui réside dans la restriction de la liberté d’action individuelle pour agir et interagir. Le choix des manifestations comportementales à sanctionner constitue une tâche délicate.

Quel est son impact sur les équipes ? Que peuvent engendrer ces attitudes sur la performance de l’entreprise ?
Représentant un comportement antisocial, l’incivilité peut causer des impacts délétères sur le travail d’équipe. Les individus exposés aux incivilités deviennent de plus en plus indisponibles pour leurs collègues contrevenants afin de parer aux incivilités. La collaboration s’estompe alors en raison du manque d’entraide et de respect mutuel. Cette situation entretient un milieu toxique et rend dysfonctionnelles la communication et les interactions comportementales. La performance ne peut en aucun cas être au rendez-vous en l’absence d’une collaboration saine et productive qui la garantit.
Certaines personnes mettent leur acte d’incivilité sur le compte du stress ou de la plaisanterie propre à eux… Quelles sont les limites auxquelles le reste du personnel devra réagir ?
Malheureusement, ni la loi, ni l’organisation ne seraient en mesure d’énumérer tous les comportements incivils et de dessiner les limites auxquelles l’incivilité ne peut être tolérée. En s’appuyant sur le type d’impact subi et le degré de gravité, seules les victimes pourraient déterminer les limites en intervenant auprès des acteurs pour modifier le comportement émis et de l’empêcher de se reproduire, et ce, dans le respect. De même, elles pourraient emprunter la voie d’une plainte formelle. Celle-ci constitue un enjeu réel associé aux difficultés de la prise en charge des plaintes et aux mesures disciplinaires en cas d’infraction, dans le cas d’absence du code de conduite au travail. De plus, les victimes sont plus incrédules à l’idée de la plainte par crainte des représailles.

En tant qu’expert, quelle démarche préconisez-vous pour que l’entreprise ne soit pas confrontée à de telles situations?
Personnellement, j’encourage les organisations à emprunter la voie de la prévention des incivilités afin de les prévenir et de les corriger au lieu de demeurer en mode curatif. Pour y parvenir, elles doivent mettre de l’avant un code de conduite et investir dans des formations sur la gestion des conflits. Ce faisant, les gestionnaires se sentent bien outillés pour garantir un climat exempt d’incivilité et se montrent plus enclins à intervenir et à désamorcer les incivilités.

Vous êtes en charge de l’intégration des populations immigrantes à Montréal au Canada. Quels sont les différents soft skills que vous transmettez à cette population pour qu’elle puisse réussir son intégration dans le pays hôte ?
À titre comparatif, le processus d’acquisition des talents au Canada met l’accent sur les compétences comportementales, sociales et émotionnelles : les soft skills. Les employeurs canadiens sont conscients et profondément convaincus des impacts de ce type de compétence sur le succès. Je dispense moi-même dans le cadre de mes missions des formations telles que la communication interpersonnelle, la gestion et la résolution des conflits et la gestion des comportements inciviques. L’objectif étant d’allier savoir-faire et savoir-être pour une meilleure intégration dans un contexte culturellement différent.

Le mot de la fin
Bien que la civilité semble une pratique observable, simple et facile à appliquer, il n’en demeure pas moins que sa prévention demeure une tâche difficile en l’absence des dispositions juridiques qui définissent l’incivilité et prévoient des sanctions en cas d’infraction.

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