Entretien avec Amine Dafir(*), enseignant-chercheur
[box type= »custom » bg= »#eeedeb » radius= »5″]Jeudi 15 novembre s’est tenu un séminaire à la Médiathèque de la Fondation Mohammed VI traitant de l’intelligence économique et l’internationalisation des entreprises marocaines en Afrique. L’un des instigateurs des «Strategic Intelligence Days», Amine Dafir, revient sur le concept et surtout les enjeux de l’IE dans la nouvelle configuration géostratégique qu’arbore le Maroc.
[/box]ALM : Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel thème concernant la seconde conférence sur l’intelligence économique ?
Amine Dafir : C’est tout d’abord un sujet d’actualité vu la présence accrue des entreprises marocaines en Afrique et l’intérêt croissant des opérateurs marocains vers la région surtout avec le retour du Maroc à l’UA et la possible adhésion à la CEDEAO. C’est aussi une thématique qui intéresse les entreprises cherchant à s’outiller pour faire face aux entraves et contraintes au développement de leurs activités au niveau du continent. Au niveau de cette deuxième conférence, nous voulons traiter l’apport de l’intelligence économique en tant qu’avantage comparatif pour les opérateurs souhaitant s’internationaliser.
Quels sont les objectifs d’un tel cycle de conférences ?
Nous cherchons à travers les « Strategic Intelligence Days» à vulgariser le concept, l’approche et les outils de l’intelligence économique en favorisant les échanges entre praticiens et chercheurs. Nous visons, également, à connecter les chercheurs universitaires avec le monde de l’entreprise en créant un cadre propice à l’échange et au partage.
Comment les entreprises réagissent-elles à une telle initiative sachant qu’elles sont très réfractaires à l’accès à l’information?
Plusieurs entrepreneurs ont participé à la première rencontre et nous cherchons à sensibiliser d’autres à la nécessité de la prise en considération et de la compréhension de l’importance des outils de veille et des méthodes d’intelligence économique au niveau de la réussite de leurs stratégies d’insertion. Nous voulons également expliquer aux patrons que l’information est une richesse immatérielle qui se multiplie en circulant et qu’ils doivent apprendre à diffuser et partager les connaissances.
Estimez-vous que ce domaine de compétences est assez vulgarisé dans l’environnement des affaires ?
Je crois plutôt que les entreprises sont peu sensibilisées à l’apport d’une démarche intelligence économique et les enjeux de la compétition par l’information. D’ailleurs, hormis les grandes entreprises qui se dotent de structures dédiées à l’intelligence économique, la majorité des PME reste inconsciente de son importance alors qu’une minorité se plaint du peu de moyens dont elle dispose pour faire appel aux professionnels d’intelligence économique qui sont difficiles à trouver sur le marché et restent donc coûteux.
L’intelligence fait partie des contenus pédagogiques à titre de module ou de matière à part entière ?
Oui, de plus en plus d’universités proposent des modules de veille stratégique et d’intelligence économique. A la Faculté des sciences économiques de Mohammedia par exemple, en plus des cours d’intelligence économique mes étudiants de masters sont tenus d’assister à des séminaires d’intelligence économique et préparer des rapports et des analyses sur le sujet. Cependant, une formation complémentaire et des stages sur le terrain s’avèrent nécessaires pour répondre à une demande de plus en plus exigeante.
Quelles sont vos recommandations pour justement intégrer cette matière importante dans les filières à caractère économique ?
Je pense qu’il est indispensable de lancer des formations spécialisées et pluridisciplinaires pour former des professionnels de l’intelligence économique, de la veille, de l’analyse, du traitement, de l’influence et de la sécurité de l’information. Il faut également veiller à une amélioration continue des offres de formation en intelligence économique en impliquant les professionnels au niveau de l’enseignement des modules afin de doter les étudiants à la fois des soubassements théoriques et des compétences techniques très appréciés sur le marché.
Quels sont les enjeux de l’IE pour les entreprises marocaines qui souhaitent s’exporter en Afrique ?
Avant de s’internationaliser dans un pays, il faut connaître parfaitement le marché ciblé, son environnement, la législation dont il dépend, sa culture et les actions des concurrents potentiels. A ce stade, l’apport de l’intelligence économique réside dans sa capacité à mobiliser l’information stratégique, les compétences et les connaissances. En effet, elle s’impose aujourd’hui comme un outil puissant de développement de la compétitivité des entreprises souhaitant s’internationaliser en Afrique puisqu’elle permet de dévoiler les opportunités non apparentes et de repérer les défis majeurs dans un continent, à la fois, plein d’opportunités et de risques.
Quels sont justement les risques quand les outils adéquats ne sont pas utilisés dans une telle démarche de développement ?
Les pays d’Afrique sont des pays jugés à risque. C’est-à-dire que l’instabilité politique, la corruption, l’économie informelle et l’insécurité juridique sont des risques qu’il faut gérer afin d’éviter le non-paiement, l’arnaque, la fraude, la double imposition, la faillite ou le non rapatriement des fonds investis. L’application d’une démarche stratégique d’IE va engendrer une réduction des risques en permettant de les prévoir et de les gérer.
D’ailleurs, il faut saluer les efforts déployés par les conseillers économiques implantés dans les ambassades du Maroc qui accompagnent le développement des entreprises marocaines avec peu de moyens.
Pensez-vous à terme que le Maroc optera pour des formations délocalisées qui permettront de doter des profils déjà chevronnés d’un diplôme leur permettant d’opérer dans ce domaine ?
A mon avis, il s’agit là d’une nécessité afin de doter les praticiens d’outils indispensables pour réussir leurs tâches tout en profitant de l’échange et de transfert des capacités. D’ailleurs, il y a une grande demande pour ce type de formations indisponibles jusqu’à présent au Maroc.
Si oui avez-vous déjà entamé des démarches dans ce sens ?
A travers ce cycle, nous cherchons à comprendre les besoins et les spécificités du marché africain afin justement de cibler et adapter les formations. Nous sommes également en train de développer des partenariats avec des cabinets d’intelligence économique et des écoles spécialisées afin de lancer des formations de qualité et orientées vers les besoins des entreprises marocaines.
(*)Enseignant-chercheur à l’Université Hassan II. Membre du Laboratoire performances économique et logistique. Docteur en sciences économiques à l’Université Mohammed V à Rabat. Auteur de plusieurs articles traitant de l’intelligence économique et la diplomatie économique marocaine.
[box type= »custom » bg= »#fddeef » radius= »5″]Thibault Chanteperdrix (*), DG et fondateur de Delta Knowledge Group, partenaire des «Strategic Intelligence Days»
«Notre initiative Strategic Intelligence Days (#SID), en partenariat avec la Médiathèque de la Fondation Mohammed VI de promotion des œuvres sociales de l’éducation-formation de Rabat, affiche une double ambition. La première est de créer un cadre d’échange propice à la démonstration et à l’opérationnalisation des méthodologies d’Intelligence économique et stratégique (IES) au sein des composantes publiques et privées du Maroc. Notre seconde ambition est de construire des passerelles méthodologiques et opérationnelles entre les praticiens marocains de l’intelligence économique et nos homologues continentaux.
S’appuyant sur de réelles plus-values techniques, commerciales et managériales, les entreprises marocaines qui souhaitent internationaliser leurs activités font face aujourd’hui à deux défis majeurs. D’une part, celui de la remise en question globale de leurs chaînes de valeur appliquées à l’environnement ciblé. Et d’autre part, c’est bien entendu un défi informationnel extrêmement qualitatif qui doit être relevé par les stratèges-dirigeants de ces organisations. Ce challenge informationnel a pour objectifs d’identifier, de qualifier, de prioriser et d’anticiper les risques associés à une activité internationalisée, dans le but de pouvoir ensuite déterminer la stratégie la plus éclairée pour mener à bien cette opération.
En effet, les schémas qui déterminent aujourd’hui et ici au Maroc la performance et la pertinence sociétale d’une activité économique sont et seront sans nul doute différents des déterminants régissant l’interaction des sphères économiques, politiques et sociétales dans le continent, dans l’ensemble régional ou dans le pays ciblé par l’organisation qui souhaite son internationalisation. Aussi, l’entreprise, audacieuse par sa volonté d’investir et de créer de nouveaux débouchés, doit engager une réflexion tant verticale qu’horizontale avec pour seule ambition de se doter des moyens nécessaires à la captation, à l’analyse, à la protection et à la diffusion de sa propre information stratégique.
Ce développement des capacités spécifiques d’intelligence économique sera, en appui des expertises déjà existantes, un atout majeur et de long terme pour ces entreprises. Ces projets d’internationalisation, porteurs d’opportunités et d’espoirs pour le Royaume du Maroc, sont aussi des leviers extrêmement puissants mis à profit de ses nombreux partenaires régionaux, en Afrique de l’Ouest notamment. Car ne nous y trompons pas, l’intelligence économique et stratégique est une méthodologie qui a vocation à être menée collectivement. Elle apportera à toutes ses parties prenantes un avantage collectif majeur dans un contexte de globalisation, pour un développement endogène et durable du continent africain».
(*) Diplômé en économie à l’Université Aix-Marseille et titulaire d’un MBA de l’Ecole de Guerre Economique. 10 ans d’expérience au sein du ministère de la défense français et un parcours dans le consulting au profit d’acteurs publics et privés depuis sa reconversion.
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