Le sport marocain se professionnalise, mais son encadrement juridique reste souvent méconnu. A travers «Le Dictionnaire juridique du sport au Maroc», Hind Tak Tak et Aziz Chahir proposent un outil de référence inédit pour décrypter les règles du jeu, entre institutions, santé, dopage et éthique. À l’occasion de sa présentation au Salon du livre de Casablanca, Hind Tak Tak, qui est aussi responsable des Cliniques du droit de Casablanca au sein de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales à Ain Chock, nous éclaire sur les défis d’un écosystème encore en construction.
ALM : Vous venez de présenter au Salon international du livre le «Dictionnaire juridique du sport au Maroc» que vous avez co-écrit avec le professeur Aziz Chahir. Qu’est-ce qui vous a motivés à entreprendre la rédaction d’un tel ouvrage ?
Hind Tak Tak : La principale motivation qui nous a animés pour publier ce dictionnaire est l’absence notable de travaux académiques critiques se penchant sur le dispositif juridique marocain régissant le sport, et ce malgré l’introduction de la loi 30-09 en 2010. A cela s’ajoute le manque d’intérêt pour le droit du sport au niveau des facultés.
Ma volonté, et celle de mon co-auteur, était d’analyser de manière transversale et interdisciplinaire les innovations, les points faibles et les contradictions que nous pouvions identifier dans les différents textes réglementaires. L’ambition étant de proposer un outil scientifique rigoureux, qui s’inspirerait certes en partie du modèle français, notamment le Code du sport de 2006, mais qui serait fondamentalement adapté au contexte spécifique du Maroc.
De par mon expérience en tant que secrétaire générale de la Fédération royale marocaine de badminton et dirigeante de club, ayant même introduit le badminton dans le milieu universitaire, j’avais une perspective pratique et théorique de ces enjeux.
A quel type de lecteurs ce dictionnaire est-il destiné ?
Notre dictionnaire s’adresse à un public varié. Nous visons en premier lieu les académiciens, qu’il s’agisse des chercheurs ou des étudiants en droit . Il est également destiné aux professionnels du secteur sportif, tels que les responsables de clubs, les fédérations et les agents sportifs. Nous espérons, aussi, intéresser le grand public curieux des aspects juridiques liés au sport.
Quelles sont les principales thématiques abordées dans ce sens ?
Nous avons exploré des thématiques liées aux acteurs sportifs où nous avons abordé le rôle de l’État, la situation juridique aussi bien des sportifs eux-mêmes que des médecins, des entraîneurs et des agents. Nous avons également traité des institutions qui structurent le sport au Maroc, comme les associations et les sociétés sportives, les fédérations, le Comité national olympique marocain (CNOM) et l’Agence marocaine antidopage. Aussi, une partie importante de l’ouvrage est consacrée à l’environnement juridique du sport, abordant des questions cruciales comme les contrats, la lutte contre le dopage et la violence, l’arbitrage des litiges, le financement du sport et le droit à l’image des sportifs.
Quels sont les aspects juridiques critiques que vous avez identifiés lors de l’élaboration de ce dictionnaire ?
Plusieurs points nous sont apparus critiques, notamment la centralisation étatique de la régulation du sport, en l’occurrence l’approbation des statuts et la dissolution des organes fédéraux, ce qui soulève inévitablement des questions sur l’autonomie des fédérations. Nous avons noté, par ailleurs, une sorte de « pyramide inversée ». En pratique, ce sont les clubs qui constituent la base du système sportif, or sur le plan juridique l’État est placé au sommet de ce qui peut engendrer des tensions. Nous relevons également des contradictions législatives. Bien qu’inspirée du modèle français, la loi 30-09 ne s’articule pas toujours de manière harmonieuse avec d’autres pans du droit marocain. Enfin, nous avons constaté une multiplication des litiges et des conflits au sein du secteur sportif, comme en témoigne le rôle croissant du Tribunal arbitral du sport (TAS), mais aussi des lacunes dans la manière dont certains contentieux sont résolus notamment en ce qui concerne le dopage et la violence dans le sport. Il est à noter que malgré les critiques nous avons également identifié des aspects novateurs dans la pratique sportive au Maroc.
Pouvez-vous nous les énumérer ?
On assiste à une structuration professionnelle croissante du secteur, avec l’obligation pour les clubs dépassant certains seuils de se constituer en ligues professionnelles et en sociétés anonymes. Un cadre juridique strict a été mis en place pour les contrats sportifs, notamment en limitant leur durée maximale à cinq ans, et une régulation des agents sportifs a été introduite, avec un plafonnement de leur rémunération à 10 %. Des lois spécifiques ont été adoptées pour renforcer la lutte contre le dopage et la violence dans le sport, venant ainsi compléter les dispositions déjà existantes dans le Code pénal. Enfin, une obligation de formation duale a été instaurée pour les centres de formation des jeunes sportifs, les contraignant à assurer en parallèle un enseignement scolaire ou professionnel.
De par votre expertise, quels sont les domaines sportifs qui nécessiteraient le plus de développement ou de réformes législatives au Maroc ?
La tenue de la Coupe du monde de football au Maroc fait que plusieurs chantiers me semblent prioritaires. Il serait essentiel d’œuvrer à l’unification du droit sportif à travers la création d’un véritable Code du sport marocain, qui permettrait de rassembler et de rendre cohérents les nombreux textes épars. Il est également crucial de renforcer l’autonomie des fédérations sportives en rééquilibrant les pouvoirs entre l’État et les acteurs du sport eux-mêmes, notamment en réduisant la tutelle administrative. La gouvernance des clubs sportifs gagnerait à être clarifiée, en particulier en ce qui concerne les règles relatives à l’actionnariat des sociétés sportives et la gestion des potentiels conflits d’intérêts, comme ceux impliquant des médecins qui seraient également actionnaires. Le système d’arbitrage et de justice sportive doit être consolidé afin de garantir une plus grande indépendance des instances telles que la Chambre arbitrale du sport. Enfin, il me paraît important de mieux encadrer les droits des sportifs, notamment en ce qui concerne l’exploitation commerciale de leur image et les réglementations relatives aux transferts internationaux.